Sa carrière, démarrée en 1955, n’a jamais connu de pause, et a fait d’elle la femme cinéaste la plus importante du cinéma hexagonal. Il n’y a aucun cinéaste qui ressemble à Agnès Varda. On ne la confond avec personne, on ne se trompe que rarement sur sa filmographie. C’est le propre des artistes qui ont une patte unique, un style et une intention à part.
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La réalisatrice française, incarnation de la Nouvelle Vague et d’un cinéma tourné vers le concret, le figuratif, vient de décéder à l’âge de 90 ans, laissant derrière elle une carrière internationale faite à la fois de confidentialité et de succès. Des termes opposés en apparence, mais qui illustrent cette multitude de dualités qui existaient chez Agnès Varda. Jamais dans le noir, jamais dans le blanc, toujours dans la nuance, elle était encore très active ces dernières années, cherchant toujours un moyen de trouver de nouvelles jeunesses.
Jamais dans les cases
Si certains venaient à douter de l’importance de son œuvre et de sa personne dans le cinéma français, et de son rayonnement à l’international, il y a quelques indicateurs qui font s’envoler les doutes. Première femme réalisatrice à avoir reçu un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2001, Palme d’honneur en 2015 au festival de Cannes, Oscar d’honneur en 2017, des films et documentaires majeurs… Ça, c’est pour le CV global.
Pourtant, Agnès Varda a commencé par la photographie en travaillant auprès du metteur en scène et auteur Jean Vilar. Mais c’est dès 1955, avec son premier film La Pointe courte, réalisé avec des moyens modestes, qu’elle se positionne comme l’une des figures de la Nouvelle Vague, mouvement qu’elle anticipe, puis qu’elle l’incarnera pour ensuite s’en détacher. Difficile de la faire rentrer dans des cases. Simple, modeste, son œuvre est souvent qualifiée de féministe, même si elle veille plutôt à laisser le militantisme de côté dans ses films pour se concentrer sur des sujets dont les femmes sont, à l’époque, généralement exclues : le cancer dans Cléo de 5 à 7 en 1962, la vie d’une jeune SDF dans Sans toit ni loi en 1985… Il ne s’agit pas de manifestes, mais l’intention est tout de même là.
“Elle a été une femme libre jusqu’au bout“
Alors oui, Agnès Varda n’est pas l’incarnation d’un cinéma qui cartonne au box-office, qui rapporte beaucoup d’argent. Son seul réel succès commercial, c’est justement Sans toit ni loi, avec Sandrine Bonnaire dans le rôle de Mona, une sans-abri retrouvée morte de froid, et dont on découvre le parcours, la fuite en avant, les galères, les états d’âme. L’actrice s’est d’ailleurs confiée à Libération sur cette collaboration qui a marqué leurs carrières à toutes les deux :
“Elle m’a dit : ‘Je te propose de jouer un personnage qui ne dit jamais merci, qui dit merde à tout le monde, et qui sent mauvais.’ […] Il y a deux jours encore, elle était consciente qu’elle allait s’éteindre, mais avait une force mentale absolument merveilleuse. Elle a été une femme libre jusqu’au bout, dans sa manière de faire des films, de les produire, d’être rebelle face à un système un peu trop codé.“
Il y a toujours eu quelque chose d’artisanal chez Agnès Varda. Cela provient très certainement de sa pratique du genre documentaire, qui la suivra toute sa carrière. Toute sa vie, elle alternera entre fiction pure et ce besoin d’aller filmer le réel. L’un des plus marquants est peut-être le succulent Daguerréotypes, sorti en 1975, et dans lequel elle va filmer ses voisins de la rue Daguerre. C’est d’ailleurs dans cette même rue, cette même maison où elle a vécu avec son mari, le réalisateur Jacques Demy, qu’elle terminera sa vie.
Les grands documentaires des années 2000
En 2000, elle réalise l’une de ses œuvres majeures, le documentaire Les Glaneurs et la Glaneuse. Partant d’un tableau bien connu, Des Glaneuses, de Jean-François Millet, elle sillonne la France pour filmer ces gens qui ramassent dans les champs les récoltes non récupérées par les agriculteurs, puis ceux qui font les poubelles des centres commerciaux, ceux qui font de la récup, ceux qui jettent leur dévolu sur ces fruits moches, mais parfaitement comestibles, écartés par les grandes enseignes parce que peu séduisants… Une manière d’aborder la thématique du gaspillage, et d’être, une nouvelle fois, en avance sur son temps. D’ailleurs, beaucoup d’admirateurs continuaient encore, il y a peu, à lui envoyer les pommes de terre moches qu’ils trouvaient. Sa cuisine en était souvent remplie.
La dernière fois qu’elle a fait parler d’elle, c’était en 2017, en s’associant avec le street artist star JR pour leur documentaire commun, Visages, Villages. Il sera nommé aux Oscars dans la catégorie meilleur film documentaire, mais Agnès Varda n’a pas pu se rendre à la cérémonie. Pour compenser, JR est parti avec une pancarte la représentant à taille réelle, la trimballant dans les aéroports, dans les rues américaines, et postant le tout sur ses réseaux…
Une histoire d’affection
Il y a encore quelques mois, elle déclarait à France Inter :
“Les gens qui m’arrêtent dans la rue, ils ne me disent pas bravo. Ils me disent merci. Et beaucoup de gens me disent : ‘Vos films sont rentrés dans ma vie, vos films sont rentrés dans la famille.‘ Je crois qu’il y a, dans ce que je fais, assez d’affection vers les autres pour que j’aie en retour de l’affection. Je me sens très aimée. Je n’ai pas fait carrière, la plupart de mes films ont été des semi-flops, à part Sans toit ni loi, ce sont des petites sorties, moyennes, qui ne rapportent pas d’argent très souvent. Mais par contre, chaque film déclenche de l’affection à mon égard, de l’amitié pour ce que ça représente d’être cinéaste. Et même de l’intérêt pour les gens que j’ai filmés.”
Modeste, toujours, et constamment étonnée par son statut. En voyant les innombrables hommages émanant du monde du cinéma à l’annonce de sa mort, elle aurait sûrement été surprise. Pas nous.