Un album posthume est toujours une œuvre particulière, partagée entre la tristesse de la disparition d’un artiste et la réjouissance de pouvoir encore l’écouter et continuer de le faire vivre. C’est le cas avec Adios Bahamas, le premier album de Népal sorti le 10 janvier 2020.
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Le rappeur originaire du XIVe arrondissement, décédé le samedi 9 novembre 2019, laissait derrière lui une carrière underground d’une dizaine d’années et quelques perles dans sa discographie appréciée des rapophiles français. Avant sa disparition, le jeune artiste venait de boucler son premier album, après une salve d’EPs convaincants distillés tout au long de la décennie écoulée. “Afin de respecter sa volonté et sa vision artistique”, comme l’ont fait savoir l’équipe et les proches du principal concerné, ce projet a donc bénéficié d’une stratégie de communication traditionnelle avant sa sortie.
Le 28 novembre 2019, le public pouvait découvrir le premier extrait “Là-bas”, ainsi que son clip tourné au Liban. Le titre “Daruma” (en référence aux figurines de papier mâché japonaises), outro de l’album, a lui été publié le 10 décembre, soit un mois exactement avant la sortie du disque… Un projet entier, de douze pistes et une petite quarantaine de minutes, pour un album chargé en émotion et en réflexion.
Tout débutait avec une intro en japonais, culture qui a toujours passionné et inspiré Népal, avant d’enchaîner sur une collaboration aux beats compressés avec le jeune et prometteur rappeur suisse Di-Meh. Sur Adios Bahamas, on retrouve d’ailleurs quatre autres featuring : Nekfeu, Doums, Sheldon et 3010. Uniquement des artistes avec qui le rappeur parisien avait déjà bossé, et qui gravitent tous plus ou moins loin du collectif 75e Session.
Également connu sous les pseudos KLM et Grandmaster Splinter, Népal assure lui-même une grande partie de la production du projet, avec les renforts des talentueux Diabi, Sheldon ou encore Hugz Hefner, pour ne citer qu’eux. Dès le troisième morceau, on découvre une association touchante avec le plus gros vendeur du rap français en 2019, Nekfeu. Sur le morceau “Millionnaire”, on retrouve à son top 2Fingz, le duo que formaient Népal et Doums.
Le projet se démarque par son homogénéité et la pertinence de ses propos. Népal y expose ses blessures comme sur “En Face” (“Est-ce que si je reçois de la violence, je la redistribue ?”) ou quand il glisse la voix du scientifique Nassim Haramein sur la fin de la piste “Trajectoire” (“C’est important de ne pas devenir ce qu’on combat, c’est-à-dire on ne peut pas changer ce système en faisant la même chose que ce système a fait”).
Si les sons “Vibe” et “Lemonade” apparaissent peut-être un peu plus légers, l’ambiance générale de l’écoute s’avère assez pesante, contexte oblige. Avec un cynisme à toute épreuve et mis au service de la pensée, Népal multiplie les références plus ou moins ésotériques. Entre ennui perpétuel et intérêt débordant pour le monde qui l’entoure, il offre un discours presque générationnel, en évoquant tour à tour l’écologie (“Plastique dans tes boobies, pétrole dans ton make-up” sur “Millionnaire”), la codéine (“Nage dans matrice comme océan d’Actavis” sur “Crossfader”), la géopolitique mondiale instable (“Je deviens fou comme un président philippin” sur “Daruma”) ou encore le contexte social (“Je pense aux injustices, à un monde où pour faire keuf il faudrait être Bac + 10” sur “Sundance”).
Tout au long de ce projet, Népal livre ses réflexions sur la vie, exprime son refus de participer à une société qui marche sur la tête, et dévoile les incohérences d’un monde devenu fou. “C’est pas important d’être riche si nos corps sont déjà des locations”, rappe-t-il par exemple sur le superbe “Trajectoire”, ou encore “Ce monde tournera rond seulement si je le prends à contresens” sur “Millionnaire”.
Un discours renforcé par l’indéniable talent d’écriture de Népal, mais aussi le spleen infini qui ne cessait de l’inspirer et semblait s’accentuer avec le temps (“Je t’aurais souri à l’ancienne mais bon les temps changent”, chante-t-il ainsi sur “Vibe”). En résulte un album empli de sincérité et de réflexion, à l’image de son auteur et de ce qu’il a toujours proposé à son public.
“J’m’élève pour mieux chuter, mon esprit tourné vers des souvenirs”.
C’est ce que disait Népal dans ce dernier effort, avant de s’envoler vers des cieux plus paisibles.
Article initialement publié le 10 janvier 2020 et mis à jour le 10 janvier 2022.