À l’instar de Carrie Fisher et Paul Walker, d’autres acteurs font appel à des services de numérisation de leur visage pour réapparaître post mortem dans des films.
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En 2015 et 2017, les castings de Fast and Furious et de Rogue One : A Star Wars Story avaient un point commun des plus étranges : une de leurs stars respectives n’avait pas réellement joué des scènes du film, remplacée par une doublure physique et un petit tour de magie numérique. Des procédés utilisés pour des raisons bien différentes – Paul Walker avait perdu la vie en marge de la production de Furious 7, tandis que Rogue One devait convoquer la Carrie Fisher de 1977 dans un film de 2016 pour des questions de continuité scénaristique.
Deux succès technologiques qui, s’ils ont évidemment déclenché un questionnement passionnant sur l’immortalité numérique, devraient, sinon se généraliser au cinéma, au moins se normaliser dans l’avenir. En avril, on apprenait que Lucasfilm, via ses sorciers d’ILM, avait déjà “scanné” tous les acteurs principaux des récents Star Wars, par mesure de précaution.
À l’heure où des acteurs sont photoshopés dans des films et qu’un hologramme d’Amy Winehouse s’apprête à faire une tournée en 2019, il vaut mieux s’habituer à l’idée que la mort biologique ne soit plus synonyme de fin de carrière pour les figures tutélaires de l’industrie du divertissement. Vraiment ? Oui, vraiment. Parce que, tenez-vous bien, il existe déjà un marché de la préservation numérique d’acteurs et actrices, à en croire un fascinant article publié par le MIT Technology Review le 16 octobre.
Deux jours et près d’un million de dollars par procédure
L’article s’intéresse plus particulièrement à une entreprise californienne d’effets spéciaux, Digital Domain, qui – en plus de travailler sur les effets spéciaux de superproductions comme Infinity War ou Ready Player One – propose désormais un service de numérisation de célébrités. On ne connaîtra évidemment ni la liste des clients, ni les tarifs de la procédure, Digital Domain préférant rester discrète sur cette activité. L’on apprend néanmoins, de la bouche du responsable des ressources humaines de l’entreprise, que Digital Domain a “scanné” “50 à 60 personnes” et que “la sélection totale de services peut coûter un million de dollars.”
Une broutille, comparée au cachet moyen des grands acteurs et actrices hollywoodiennes. Il y a quelque chose de déconcertant à se dire que l’immortalité médiatique n’est même pas totalement hors de prix pour ceux qui la réclament le plus.
Pour inscrire fidèlement leurs clients dans le marbre numérique, les équipes de Digital Domain utilisent des centaines de LED arrangées en sphère, ce qui permet de capturer et de décomposer le visage en autant de photos haute définition, avec une précision jusqu’au moindre pore de peau.
Ces LEDs peuvent ensuite changer de couleur à volonté pour recréer différentes conditions du jour ou d’éclairage intérieur, ce qui minimisera le futur travail d’intégration de l’acteur dans le film. Le visage est également filmé pour capturer les rides de mouvements, les expressions faciales et tous les petits détails qui éviteront au clone numérique de ressembler à un Playmobil. L’opération prend environ deux jours et génère 5 à 10 téraoctets de données, précise le MIT Technology Review.
Le photoréalisme n’est plus un problème
La priorité de ce genre de procédure est d’éviter, à tout prix, l’uncanny valley, lorsque la technologie ne parvient pas à un degré de photoréalisme suffisant et met par conséquent le public mal à l’aise. Un résultat de plus en plus rare, mais qui se produit encore, peu importe le budget investi. Dernier en date : le clone numérique de Peter Cushing, mort en 1994, qui reprenait son rôle de Grand Moff Tarkin, toujours dans Rogue One.
Contrairement à l’intégration de Carrie Fisher ou de Paul Walker (basée sur son frère), celle de Cushing avait suscité des réactions mitigées, comme on pouvait s’y attendre: le “matériau source” de l’acteur, si l’on peut dire, avait plus de 40 ans, et il s’agissait autant d’un travail de restauration que d’intégration.
À l’heure où la motion capture est parfaitement maîtrisée et où les studios hollywoodiens copient-collent des visages de stars sur leurs doublures de cascades à chaque tournage, scanner des visages n’a plus rien d’un exploit technique. Autrement dit, il y a peu de chances que nous soyons capables de discerner les acteurs de chair de leurs interlocuteurs numériques à l’avenir – nous vivons dans un monde ou les deepfakes sont à la portée du premier internaute venu, rappelons-le.
De là à imaginer les mêmes têtes d’affiche pendant un demi-siècle ou voir Leonardo DiCaprio rafler des oscars dix ou vingt ans après sa mort, il n’y a qu’un pas que la science-fiction se chargera aisément de franchir. Lorsque l’on voit la fascination d’Hollywood pour les reboots lucratifs, la tentation sera forcément irrésistible.