Après le nerveux Enquête sur un scandale d’État, Thierry de Peretti vient avec À son image offrir un nouveau reflet à son film Une vie violente. En adaptant le roman éponyme de Jérôme Ferrari (Actes Sud, 2018), le réalisateur plonge une fois de plus dans l’histoire de la lutte indépendantiste corse mais cette fois-ci du point de vue d’Antonia, une jeune photographe.
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Passion, jeunesse et tragédie
Dans un montage fragmenté et ellipsé, Thierry de Peretti nous offre une parenthèse de la vie de cette jeune femme en ne faisant aucun mystère dès l’ouverture sur l’issue tragique de son existence. Tragédie est le mot du film : on le questionne, on l’emploie, on répète qu’il ne faut pas qu’il teinte leur trajectoire. Malgré tout, Antonia se retrouve à être ce personnage hors du commun en proie à un destin exceptionnel, et malheureux, digne des plus grandes tragédies grecques. Une fatalité confondante s’abat sur ce groupe de jeunes hommes et femmes qui tentent de vivre leur jeunesse et se voient malgré eux rattrapés par l’histoire politique insulaire.
En plongeant ses personnages au milieu des années 1980, avec comme contexte les actions du Front de libération nationale corse (FLNC) pour obtenir son indépendance politique, À son image vient surtout nous parler de la découverte de la passion et de l’amour. Antonia aime Pascal, ils se cherchent, se découvrent, finissent par évoluer sous les yeux de personnes plus ou moins hostiles à leur union.
Pascal, par conviction politique, rejoint le FLNC et, très rapidement, cette idylle quasiment adolescente s’assombrit et se transforme en source d’inquiétude, de tristesse. Pascal fait des allers-retours en prison, propulsant malgré lui Antonia dans une situation d’attente. Mais comme le disent ses proches : elle est têtue, elle a quelque chose que les autres n’ont pas. Alors elle voit dans le petit appareil photo offert par son parrain (subtilement interprété par Thierry de Peretti lui-même) une potentielle échappatoire.
On assiste alors à l’aiguisement d’un regard : Antonia observe à travers son objectif, elle se déplace pour changer de perspective, elle prend le temps de sélectionner quel sujet elle souhaite photographier. Au début, son dessein est de partager à Pascal ce qu’elle vit lorsque lui est enfermé : elle capture des moments de vie avec ses amis, avec des inconnus à la plage, au bar. Puis elle en vient à créer ses propres espaces-temps en utilisant un retardateur pour se photographier et enfin se regarder vraiment. Parce qu’on ne sait pas au fond ce que pense Antonia d’elle-même, de sa vie, de la situation politique.
Il faudra attendre son entrée à la rédaction de Corse Matin pour que l’on puisse saisir sa quête intime : celle de montrer autre chose. Malgré l’indépendance acquise grâce à cet emploi, elle se sent rapidement enfermée, on ne la laisse pas couvrir tous les sujets, on refuse la majorité de ses travaux. Antonia, qui assied sa morale, son envie de ne rien voler aux gens avec ses photos se voit heurtée à une machinerie qui la dépasse.
Mais Antonia, qui s’intéresse à l’existence de la trace elle-même, saisit l’outil politique majeur niché dans son appareil et dans son regard. À son image est surtout le trajet d’un personnage qui se retrouve malgré lui contraint à quitter la naïveté, à quitter le confort, pour venir archiver une réalité de l’Histoire. Elle décide de se rendre à Belgrade en ex-Yougoslavie pour elle aussi faire quelque chose qui compte (comme Pascal), mais une fois arrivée, c’est la désillusion, tout est caché : rien ne peut se cristalliser sur ses pellicules.
Travail de mémoire
Le film propose lui aussi un travail de mémoire en créant un dispositif hybride composé de voix off, d’archives télévisuelles et photographiques qu’il mêle brillamment à la fiction. Du fait de son choix fragmentaire, il laisse une liberté ravageuse aux spectateurs dans ses interstices. On saisit la fugacité des êtres par leur absence : ils disparaissent de la diégèse sans un mot.
Tout dans ce film est au service de la mélancolie, même dans les moments de joies, même dans les moments de lumière. La photographie de Josée Deshaies est pudique, à distance, avec de nombreux plans fixes, et une absence quasiment totale de champ contre champ. On prend le temps, comme Antonia, de choisir où le regard va se poser. Par moments, on zoome sur des détails, à d’autres on décide de faire un arrêt sur image, de faire une pause dans le récit pour permettre une respiration, pour nous laisser le temps aussi d’admirer ces jeunes comédiens non professionnels qui viennent porter dans leurs traits toute l’ambiguïté d’une jeunesse contrainte, codifiée, où le groupe est la force et où l’individualité est difficile à affirmer.
Clara-Maria Laredo porte le film comme une évidence et offre un personnage de cinéma marquant comme on n’en avait pas fait depuis longtemps. Elle est entourée d’autres comédiens que l’on aime retrouver au fil de la filmographie de Thierry de Peretti comme Antonia Buresi, Alexis Manenti ou encore Cédric Appietto. Chacun des personnages, même s’ils ne font que passer, vient renforcer la puissance de ce récit et de sa bluffante maîtrise.
Ce que l’on retiendra de À son image est que la mort est souvent à cheval sur la vie, et que les plus grands drames se vivent en plein soleil avec la mer au loin.