Le Prodige raconte la vie de Bobby Fischer, génie des échecs. Et que l’on connaisse le jeu sur le bout des doigts ou que l’on soit complètement étranger au schmilblick : on sort de la séance en se posant pas mal de questions.
Ce mercredi 16 septembre, sort Le Prodige, le nouveau film d’Edward Zwick. On y voit un Tobey Maguire interprétant magistralement Bobby Fischer, génie fou et légende des échecs, pion sur l’échiquier géant qu’était la guerre froide, à l’antisémitisme grandissant au fil de sa vie.
Si le film fait la part belle à l’histoire du bonhomme, impossible de raconter la vie de Fischer sans centrer la chose autour d’un échiquier, des nombreuses stratégies de défense et autres mécanismes d’anticipation propres au joueur. Pour les novices (comme moi), la chose peut faire peur. Mais ce serait douter du talent de Zwick à nous raconter des histoires, qu’elles concernent des sujets aussi pointus, ou non.
Impossible cependant de sortir de la salle obscure sans se poser plusieurs questions. Parmi les dizaines que nous avions en tête, en voici cinq.
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C’est qui déjà Edward Zwick ?
Effectivement, ce nom dit quelque chose. Edward est loin d’être un étranger au club resserré des réalisateurs hollywoodiens. Il a révélé Denzel Washington dans Glory (1984), pour lequel il aura l’Oscar du meilleur second rôle. S’il a également dirigé Brad Pitt, Tom Cruise, Anthony Hopkins et Bruce Willis, entre autres, il est surtout connu pour ses films plus récents. Zwick est effectivement l’homme derrière Le Dernier Samouraï (2003), le génial Blood Diamonds (2006) et Les Insurgés (2009).
Autant dire que le cinéaste a de l’expérience, surtout par les films historiques, qu’il s’agisse de Glory (l’histoire du premier bataillon noir durant la Guerre de Sécession), du Dernier Samouraï (basé en partie sur l’histoire vraie de Jules Brunet) ou des Insurgés (l’histoire vraie des frères Bielski qui ont sauvé de nombreux juifs durant la Seconde Guerre mondiale).
Et puis, Edward a un passif avec Bobby Fischer. Dans une interview accordée au magazine américain Entertainment Weekly, il a révélé qu’il jouait lui-même aux échecs à cette époque, alors qu’il n’était qu’un bambin, et qu’il avait suivi la fameuse finale avec forcément un peu d’entrain. Qui de mieux que lui pour diriger ce film ?
L’acteur qui joue Boris Spassky, je le connais, mais…
L’adversaire numéro 1 de Bobby est soviétique et s’appelle Boris Spassky. Plusieurs fois champion du monde, il avait également un sacré tempérament – le parti avait beaucoup de mal avec les provocations du joueur parait-il. À l’écran, on retiendra son calme et le sérieux du personnage, impeccablement joué par Liev Schreiber, qui aurait même appris le russe à l’occasion du film.
Liev, c’est la révélation de Scream, le médiocre dent de sabre 2.0 de X-Men Origins : Wolverine, et depuis quelques temps, un certain Ray Donovan. On pourrait aussi parler de ses rôles dans Les Insurgés (coucou Edward Zwick), Hotel Woodstock ou même Majordome (Schreiber, méconnaissable, y joue le président Lyndon B. Johnson). On va éviter d’aborder Cowboys et Envahisseurs en revanche.
Et très bientôt, nous le retrouverons aux côtés de Michael Keaton, Rachel McAdams et Mark Ruffalo dans Spotlight, un film retraçant la difficile enquête menée par des journalistes de Boston Globe sur la pédophilie au sein de l’archidiocèse de la ville.
Pourquoi Le Prodige a pris autant de temps à sortir ?
En 2009, Pawn Sacrifice (nom anglophone du projet) commençait à faire parler de lui. Le scénario, à l’époque isolé de tout intérêt, racontait l’histoire d’un dénommé Bobby Fischer. Heureusement, ce dernier se trouva en haut de la “black list”, ce qui lui permit assez facilement de trouver une maison de production, un distributeur, un casting, etc. La “black list” ? Explications.
Retour en 2005. Franklin Leonard, alors un des dirigeants/producteurs au sein de la société de production de Leonardo DiCaprio, décide de partir en vacances. Une initiative somme toute très normale. Au moment de partir, lassé de lire des scénarios fades, il envoie un mail à une petite centaine d’amis bossant dans le milieu du cinéma, leur demandant de lui envoyer un top 10 de leurs scripts non-produits préférés. Pendant qu’il se dore la pilule, sa boîte mail se remplit à vitesse grand V.
En compilant les différents mails, il voit rapidement des similitudes. Il organise alors une nouvelle liste, sorte de liste “noire”, qu’il présente en décembre de la même année. Surprise : quelques noms intéressent des maisons de production entraînant leur financement dans la foulée. De là, tous les mois de décembre, une nouvelle “black list” sortait, jusqu’à ce que Franklin Leonard propose via un site une base de données accessible à tous moments. Dans la cuvée 2005, on trouve par exemple, mentionné 23 fois, Juno.
Une flopée d’excellents films sont passés par la case black list avant d’être produits, comme Le Loup de Wall Street, Slumdog Millionaire, The Social Network, Argo, Margin Call, Blood Diamond (décidément) ou encore un certain Pawn Sacrifice. Preuve à l’appui, Télérama parlait en 2010 dans un article sur la black list, de deux biopics, dont celui de Bobby Fischer. Après que Fincher se soit intéressé au projet (qu’il abandonna, privilégiant Millénium : Les hommes qui préféraient les femmes), Zwick prendra finalement le relais, un peu tard. Ce qui explique sa sortie, six ans après l’écriture du scénario.
C’est pas franchement courant un film sur les échecs, non ?
Les échecs sont régulièrement présents dans le septième art, du jeu grandeur nature d’Harry Potter à la partie entre le génie et le tapis volant d’Aladdin, en passant par X-Men, Austin Powers, 2001 : l’Odyssée de l’Espace ou encore Blade Runner. Que ce soit pour symboliser une rivalité, l’intelligence d’un personnage, ou pour se moquer de manière complètement anecdotique, l’utilisation du jeu au sein d’un long métrage est monnaie courante.
En revanche, les films centrés sur l’échiquier se font plus rares. Le premier date de 1925. Il s’agit de La Fièvre des échecs, une comédie soviétique de 20 minutes, sans dialogue, et en partie filmée au tournoi de Moscou de 1925. De là, une petite dizaine se démarqueront, du drame au thriller, ou même en animation.
Parmi les représentations les plus célèbres, celle d’Ingmar Bergman avec le Septième Sceau, où la mort défie un chevalier autour d’une partie d’échecs. On notera que Le Prodige n’est pas le premier biopic d’un joueur, puisqu’en 1993 sortait À la recherche de Bobby Fischer, un film qui comme son nom ne l’indique pas franchement, raconte l’histoire de Joshua Waitzkin, un jeune champion américain.
Qu’est-il vraiment arrivé à Bobby après avoir gagné son titre ?
À la sortie de sa finale de 1972 à Reykjavik, Bobby a définitivement marqué l’Histoire. Il signe la fin (provisoire) de la suprématie soviétique sur l’échiquier mondial. Pendant ce temps, sa maladie gagne de plus en plus de terrain. 1972 est un point de rupture, sa consécration et, en même temps, le début de la chute du champion.
À la sortie de sa finale donc, Bobby donne un tiers de l’argent gagné lors du match à l’Église Universelle de Dieu, une branche évangélique à laquelle il ne peut être intégré puisqu’il n’est pas baptisé (Bobby est juif par sa mère, elle qui avait fui l’Allemagne nazie). Un an plus tard, il reconnaîtra s’être fait avoir par le mouvement religieux.
De là, de drôles de choses se produisent. Il refuse un grand nombre de contrats et de propositions, généralement très bien payés. Au point où le bonhomme ne se pointera pas à la finale de 1975, perdant son titre par forfait. Dans le même laps de temps, son conspirationnisme/antisémitisme/antichristianisme/anticommunisme se durcit.
Il vit reclus dans une paranoïa impressionnante, jusqu’à ce qu’il accepte de rejouer la finale contre Spassky en 1992. Un match gagné pour Bobby, visiblement bien moins impressionnant que 20 ans auparavant, mais qui lui a rapporté plus de 3 millions de dollars.
Problème : le match se déroule en Yougoslavie, alors en plein embargo par les États-Unis. Il se retrouve interdit de territoire, et erre pendant plusieurs années, des Philippines au Japon en passant par l’Islande. De fait, il ne pourra pas se rendre aux funérailles de sa mère, aux États-Unis, avec qui il garda des relations très distantes à partir des années 60/70.
Ces dernières années sont malheureusement connues pour ses sorties médiatiques, d’abord en 1999, puis surtout au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, lorsqu’il déclara au micro d’une radio philippine :
C’est une formidable nouvelle, il est temps que ces putains de juifs se fassent casser la tête. Il est temps d’en finir avec les États-Unis une bonne fois pour toutes. […] Je dis : mort aux États-Unis ! Que les États-Unis aillent se faire foutre ! Que les juifs aillent se faire foutre ! Les juifs sont des criminels. […] Ce sont les pires menteurs et salauds ! On récolte ce qu’on a semé. Ils ont enfin ce qu’ils méritent. C’est un jour merveilleux.
Une triste fin de trajectoire pour un cavalier fou qui marqua à jamais l’histoire des échecs.