Vous venez de sortir du ciné et n’êtes pas bien sûr d’avoir compris ce sublime ovni cinématographique ? Voici quatre manières de lire le film.
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Mother ! sent le film culte en devenir, qui sera au cœur des discussions des cinéphiles pendant un bon bout de temps, qui sera incompris au premier abord – détesté par les uns, mais adulé par une flopée d’autres – et qui sera l’objet d’articles longs comme le bras. On ne parle pas uniquement de sa fin à la Inception, mais sur l’ensemble de l’œuvre et sur le propos même du long-métrage. Et Aronofsky va tellement loin qu’il est presque obligatoire d’interpréter le film, sinon on passe à côté du tour de force du réalisateur.
Du coup, si vous avez vu le film, soit vous avez votre interprétation, soit vous êtes totalement largué. Après s’être un peu creusé la tête, on a trouvé quatre angles par lesquels on peut comprendre le film. Certains sont évidents, d’autres sont plus tordus. Une chose est sûre : si vous n’y avez pas encore pensé, tout cela vous semblera être une évidence.
Bon, et bien sûr : spoilers ahead.
Le plus évident : la muse, l’artiste, la création et la reconnaissance
Ce n’est presque pas une théorie, tellement cela semble évident. Le film nous fait suivre un Javier Bardem qui s’installe loin de tout pour écrire sa nouvelle œuvre, qu’il réussit à pondre en s’inspirant de sa femme — une muse, jouée par Jennifer Lawrence, qui pourrait aussi être vue comme celle d’Aronofsky puisqu’on voit l’actrice 66 minutes en gros plan, et tout est montré de son point de vue.
La seconde moitié du film – à partir du moment où le couple arrive dans la vie de nos protagonistes, et que le personnage principal tombe enceinte –, est une montée en puissance progressive qui nous fait aborder le thème de l’adulation. La forme d’idolâtrie extrême que nous montre le film peut être perçue comme une critique du fanatisme un peu dangereux que certains peuvent avoir pour leur artiste préféré. Cette critique pourrait aussi porter sur le besoin incessant de certains créateurs d’obtenir une forme de reconnaissance. Toute la fin, absurde en soi, ne se justifie que par le laxisme de l’auteur envers ses “invités”, expliqué tout simplement par un “ils ont besoin de moi”.
De ce point de vue, le film tourne autour de l’égocentrisme de l’artiste, qui privilégie l’art à la vie, et qui n’aime sa femme que parce qu’elle l’aime, qui la délaisse quand d’autres se mettent à l’aimer, et qui écrase son cœur pour récupérer la pierre, histoire de recommencer ses erreurs au détriment de sa femme. Une vision particulière de la muse et de l’artiste, et des névroses de ce dernier. Reste à savoir si le cinéaste parle de lui, d’autres créateurs qu’il connaît ou d’une vision cauchemardesque de l’art.
Au-delà de la création de l’œuvre qui est au centre du film — après tout, nos deux protagonistes sont enfermés dans une maison loin de la civilisation pour que le mari puisse pondre son fichu nouvel écrit —, deux autres grosses créations se démarquent : celle de la maison, dont les travaux ont une importance dans la trame du récit, et celle d’un bébé, qui fait l’objet de plusieurs discussions avant que la mère ne tombe véritablement enceinte. Ainsi, Mother ! ne serait qu’une fable sur la création et les douleurs qu’elle génère.
Le plus facile : la drogue, les cauchemars et plus si affinités
Bon, c’est vraiment l’option de la facilité : “ET SI EN FAIT, TOUT ÇA N’ÉTAIT QU’UN RÊVE ?“. Mouais. C’est un peu l’explication qu’on ressort à tout-va quand on n’arrive pas trop à comprendre. Mais soyons francs, cela peut marcher. Après tout, le film démarre par une jeune femme se réveillant et se termine par une autre jeune femme se réveillant. L’idée de boucle que l’on ne comprend qu’à la fin pourrait expliquer cet aspect.
Si ce n’est pas un mauvais rêve, il pourrait s’agir d’une hallucination. L’argument principal, pour ne pas dire le seul, concerne cette fiole de liquide jaune. Présentée sans jamais être expliquée, on comprend qu’il s’agit d’une espèce de calmant, qui aide Jennifer Lawrence à canaliser ses crises de panique. On ne voit pas les effets de ce produit, si ce n’est que ces crises prennent fin. Et si ce produit provoquait d’autres réactions, comme des hallucinations ? Après tout, elle semble avoir “des visions” quand elle touche la maison pendant ses crises. Surtout, argument de poids, la drogue est un élément qui est présent dans presque tous les films de Darren Aronofsky…
On vous l’a dit, c’est un peu facile, mais cet angle pourrait expliquer bien des choses ici. Car sinon, pourquoi autant montrer à l’écran cette fiole ? On notera néanmoins qu’une fois enceinte, la mère balance la fiole aux toilettes, et que c’est à ce moment précis que tout part le plus en vrille. Soit le cauchemar qui suit est une espèce de manque/bad trip, soit ça n’a pas grand-chose à voir. En attendant, on ne saura jamais ce qu’était ce liquide.
Le plus militant : planète, écologie et mode de vie
Darren Aronofsky explique avoir écrit le scénario en cinq jours, d’une traite (une première pour lui). En réalité, c’est parce qu’il était enfermé, et qu’il a commencé à réfléchir au monde qui l’entoure, sur les évènements actuels – et donc sur le réchauffement climatique.
Difficile de ne pas voir dans ce film une allégorie du saccage que nous avons infligé à la Terre. La maison serait notre planète, avec une Jennifer Lawrence en “mère nature”. D’ailleurs, elle ne quitte jamais la maison de tout le film, comme si elle ne le pouvait pas. Les premiers humains viennent, font ce qu’ils veulent, comme si c’était chez eux. Lors de la première moitié du film, on voit même des invités ne pas respecter les lieux, casser des éviers, ignorer la maîtresse de maison, se rendre dans des endroits interdits ou encore repeindre les murs (comme ça, sans raison). La symbolique est forte et évidente.
Du coup, la seconde moitié parle d’elle-même. La destruction de la maison, dans une escalade de violence sans nom, ressemble quand même beaucoup aux ravages de l’industrialisation, des guerres, etc. Plus il y a d’invités, et plus leur frénésie s’accentue. On ne parlera même pas des meurtres, viols et autres horreurs. Et quand la “mère nature” offre (à son insu, on est bien d’accord) son bébé aux invités, il est consommé en quelques secondes — une métaphore tordue du fait que l’on consomme trop rapidement les ressources que peut nous offrir la Terre.
De la même manière que les intrus détruisent la maison, Javier Bardem détruit sa femme. D’ailleurs, quand celle-ci souffre, la maison aussi déguste. De ce fait, les réactions que peut avoir la maison quand la “mère nature” craque peuvent être rapprochées des divers cataclysmes qui affectent notre monde – tout comme l’incendie de la maison évoque la mort de notre planète. Il ne reste alors plus que le cœur de la maison, que l’on pouvait voir sous le plancher et qui n’est après le passage des flammes qu’une espèce de pierre précieuse qu’elle sort de son thorax.
Le plus religieux (et probable) : Dieu, l’humanité et l’Apocalypse
Le dernier film du réalisateur avant celui-ci était Noé, une espèce d’énorme monstre reprenant le célèbre passage de la Bible sur le Déluge, avec cette fameuse arche qui aurait protégé quelques humains et des animaux de la colère de Dieu (ce dernier était bien saoulé par cette humanité qui ne respecte rien). La religion ayant déjà été abordée à plus d’une reprise par le cinéaste, difficile de ne pas y penser en voyant le film. Voici une petite liste, non exhaustive, des références les plus frappantes :
- Javier Bardem pourrait représenter Dieu et/ou Satan.
- Le premier couple serait Adam et Ève : lui a une côte en moins et elle est une sorte de tentatrice.
- Ce même couple casse d’ailleurs le cœur de la maison, qui représenterait ici le fruit défendu – d’autant plus que la plupart des malheurs de l’intrigue se produisent après cet évènement.
- Les deux enfants font penser à Abel et Caïn.
- Le bureau est le jardin d’Éden, avec l’arbre du savoir (ce n’est pas nous qui le disons, mais Jennifer Lawrence). Lorsque le couple d’intrus brise le cœur de pierre, il est chassé de la pièce – qui est par la suite condamnée et interdite d’accès.
- La cave est assimilable à l’enfer, où se cache au final le péché (il suffit de voir le regard de dégoût qu’a Jennifer Lawrence face au sous-vêtement qu’elle trouve dans le lave-linge), mais surtout le feu.
- Le texte qu’écrit Javier Bardem est repris par certains comme une doctrine à suivre à tout prix — la Bible, quoi.
- La foule de fans qui adule Javier Bardem est semblable à une humanité en recherche de spiritualité.
- Leur enfant qui finit par être tué par les hommes, puis mangé (“Mangez, ceci est mon corps”).
Bref, tout cela semble bien évident. Certains diront que les dérives de la fin sont soit l’Apocalypse décrite dans la Bible, soit les diverses guerres de religion menées au nom de Dieu. On retiendra surtout la drôle de représentation de ce dieu qui se suffit dans l’idolâtrie des hommes, tout en les laissant tout saccager, aveuglé par leur amour.
Angle bonus : un agrégat de tout ça
Notre théorie, c’est que le film traite de religion (avec Jennifer Lawrence en mère nature), et que le récit évoque autant la création de l’humanité que sa destruction. En gros.