Un dessin d’aquarelle griffonné en guise d’affiche, un synopsis tiré d’un roman pour enfants et la promesse du retour du maître de l’animation Hayao Miyazaki après dix ans d’absence : voilà tout ce que l’on sait du nouveau film du Studio Ghibli The Boy and The Heron, qui reste pour l’instant un mystère visuel, aucune image n’ayant été dévoilée.
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Pour cause, le studio a décidé de ne pas succomber aux codes hollywoodiens et de ne proposer aucune bande-annonce, pour mieux correspondre aux envies du public. Une décision expliquée début juin par Toshio Suzuki, producteur du film, dans une interview accordée à Bungeishunjū et relayée par The Hollywood Reporter :
“Un film américain sort cet été au même moment. Ils ont déjà fait trois bandes-annonces. Que pense le public de ça ? J’ai voulu faire l’opposé donc on ne fait aucune bande-annonce, aucune publicité pour la télévision, aucune publicité dans les journaux. C’est ce que le public qui se rend au cinéma désire au plus profond de lui-même.”
Outre la pique évidente au Barbie de Greta Gerwig (sorti le 19 juillet en France), un paradoxe est soulevé par le producteur : les bandes-annonces, pensées pour attirer le public dans les salles obscures, ne plairaient plus à ce dernier. Mais alors, servent-elles encore à quelque chose ?
Aux origines
Pour comprendre à quoi servent les bandes-annonces, il faut remonter à leurs origines, en 1912. Cette année-là, les distributeurs de la série de films de Thomas Edison intitulée What Happened to Mary décident de se servir de la partie inutilisée de la pellicule pour annoncer le prochain épisode. Considérée comme la première série américaine, What Happened to Mary lance aussi le concept de trailer, c’est-à-dire la « remorque » soit ce qu’on trouve à l’arrière (la fin) de la bande de film. La bande-annonce est née.
Depuis, sa forme a évolué, passant d’un simple film d’annonce à une vraie œuvre de cinéma, en parallèle du titre qu’elle promeut. On peut par exemple citer des bandes-annonces devenues cultes, comme celle du Psychose d’Alfred Hitchcock, presque un court métrage à part entière.
Pourtant, si les codes du cinéma ont changé, et les trailersavec, leur objectif reste toujours le même : susciter l’envie. Pour cela, plusieurs formats sont possibles : narratif avec une présentation de l’intrigue, démonstratif avec seulement des images, ou conceptuel en ne montrant aucune image du film. Parmi toutes ces distinctions, on trouve aussi les Red Band et les Green Band : d’un côté les teasers pour un public “mature”, de l’autre une vidéo adaptée à toute sorte d’audience. Les deux trailers d‘Evil Dead Rise illustrent bien les différences entre Red Band et Green Band :
Enfin, la cible de la vidéo, de son support, et du positionnement du film vont guider les choix créatifs de réalisation. Car une bande-annonce doit vendre. Il faut alors savoir bien l’orienter.
2 minutes pour tout résumer
L’objectif des bandes-annonces est bien entendu d’attirer le public en salles. Et toutes doivent comprendre des éléments obligatoires : sa date de sortie, le casting (élément le plus vendeur du film), les festivals majeurs dans lesquels le film a pu être présenté, les éventuels prix reçus, des citations de presse ainsi que des éléments chocs de l’œuvre, pour susciter la curiosité du public.
Il y a donc beaucoup d’informations à faire rentrer en moins de trois minutes : une critique souvent émise à leur encontre, et qui laisse peu de place à la créativité. Cette dernière est limitée selon Sonia Mariaulle, de la société Sonia Tout Court, spécialisée dans la réalisation de bandes-annonces, par la performance : “Aujourd’hui, quand on sort un film, il faut qu’il marche dès son premier week-end d’exploitation. Dans ce contexte, proposer des choses originales qui s’amusent avec le spectateur est un peu plus compliqué.”
Qui n’a également jamais entendu l’éternel “J’ai l’impression qu’on m’a tout raconté dans la bande-annonce” ? Pour Sonia Mariaulle, les critiques récurrentes à l’encontre des trailers peuvent également venir de leur formatage : “Je pense que certaines bandes-annonces sont très explicatives, didactiques. Ça laisse peu de marge, on a l’impression d’avoir vu tout le film. Cette remarque, je l’entends aussi de la part de mes amis qui ne travaillent pas dans l’industrie.”
Ainsi, certains décident de plus regarder de bandes-annonces du tout, pour s’éviter le redouté spoiler. Dans ce cas, on pourrait même avancer que la bande-annonce est devenue contreproductive, faisant fuir le public. Mais que faire de ceux qui ne vont pas au cinéma sans avoir vu au moins un teaser, de ceux qui adorent les trailers, qui les regardent en boucle ou qui les remasterisent pour les actualiser ?
Alors, point final ?
On pourrait s’arrêter là, et penser que la bande-annonce ne sert plus à rien, que Hayao Miyazaki est effectivement un génie de la communication en n’en proposant pas pour son prochain film. Et on aurait raison : après tout, cette stratégie-là “a su créer l’envie de voir le film” d’après Sonia Mariaulle. Mais de son côté, la spécialiste assure que les bandes-annonces sont plus utiles que jamais, tant “Internet a développé une toile numérique accessible à tout le monde, traitant de l’image et du son, soit le principe d’une bande-annonce”.
Pour autant, à l’heure d’Internet et de la promo à outrance, plus besoin d’une vidéo pour avoir envie de regarder un film. Si on étudie la campagne marketing de Barbie par exemple, l’envie du public a été suscitée par les prises de parole des acteurs ou les tenues de Margot Robbie directement inspirée de la poupée originale. On aurait donc tort de penser que la bande-annonce à elle seule porte un long métrage : la pratique a montré que ce n’est pas le cas. Mais rien n’indique la fin des bandes-annonces.
Car, au cinéma, tout aficionado de la salle sait que sa séance sera précédée d’une séquence de teasers pour fidéliser le public déjà adepte du grand écran. Un principe très utilisé chez Netflix à la fin de chaque programme pour que son abonné ne quitte pas l’interface. Du côté de l’industrie, les grands événements sont aussi attachés aux bandes-annonces, avec des visionnages d’images de sorties à venir ou les premiers extraits de projets très attendus.
Enfin, il ne reste qu’à laisser parler les chiffres pour comprendre l’importance de la vidéo : sur le compte YouTube officiel de Sony Pictures Entertainment, la vidéo annonce du Napoleon de Ridley Scott cumule 28 millions de vues en deux semaines. “Je pense que les spectateurs les attendent, les bandes-annonces”, conclut Sonia Mariaulle. Car ce qui compte au cinéma, ce sont les émotions transmises par l’image et le son. Et aucune affiche ou photo de tournage ne captera autant l’essence d’un film qu’une bande-annonce.
Finalement, il est difficile de conclure sur l’utilité des bandes-annonces, simplement parce que leur influence n’a pas été quantifiée. Mais ce serait se voiler la face que de penser que la bande-annonce n’a pas encore de belles années devant elle. Elle est après tout un plaisir un peu coupable : on adore la détester, mais on ne peut s’empêcher de l’adorer. En témoignent ces teasers qu’on mate sans aller voir le film.
In fine, la bande-annonce est bien là pour rester.