“Entre le désastre et la beauté, l’ombre et la lumière”, l’exposition “Déflagrations” à Marseille explore, de la Seconde Guerre mondiale à l’exil des Rohingyas de Birmanie, près d’un siècle de conflits internationaux à travers des dessins d’enfants.
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L’exposition présente plus de 150 dessins d’enfants qui, “après avoir côtoyé la mort dans des situations de guerres ou de crimes de masse, ont repris les crayons de couleur pour se raconter”. Les œuvres retracent violences et crimes des dernières décennies, des camps de concentration d’Auschwitz aux massacres dans les villages du Darfour.
Dessin d’un garçon de 10 ans déplacé dans un camp du secteur de Maban, Soudan du Sud, 2017. (© Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés)
Ces dessins ont été recueillis et sélectionnés depuis 2013 auprès de musées, d’institutions, d’archives de psychiatres, de psychologues et de correspondant·e·s de guerre, d’ONG et de bibliothèques, en partenariat avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugié·e·s (UNHCR). Ils témoignent des différentes étapes des conflits : bombardements, pillages, assassinats, familles contraintes à l’exil… Ces scènes d’horreur que les enfants ne peuvent narrer avec des mots sont racontées avec des dessins.
Certains dessins témoignent des violences au Nigeria, frappé depuis près de dix ans par les attaques du groupe djihadiste Boko Haram, ou au Rwanda, où le génocide de 1994 contre la minorité tutsi a causé la mort de plus de 800 000 personnes. Ces enfants sont “victimes, mais aussi témoins” et créent “des œuvres de mémoire”, explique à l’AFP Zérane S. Girardeau, commissaire de l’exposition.
Vue de l’exposition “Déflagrations” au Mucem. (© Scénographie : Perrin Fohr/Photo : Jean Julien Ney/Mucem)
“Image manquante”
“Très souvent, les moments de l’exécution ou des pillages, des assassinats ne sont pas photographiés ni filmés”, remarque la commissaire d’exposition. Ces dessins pallient donc la notion d’“image manquante”, chère à Olivier Bercault, spécialiste des conflits armés auprès de l’ONG Human Rights Watch, partenaire du projet.
C’est le cas d’un dessin récolté par l’Unicef, réalisé par un garçon rohingya, une minorité musulmane persécutée en Birmanie. Réfugié dans un camp au Bangladesh, il représente les exécutions dont il a été témoin : des silhouettes de militaires, griffonnées en vert, qui fusillent et décapitent des hommes, des femmes et des enfants, ensanglanté·e·s en violet.
“C’est la première fois que je vois ça. C’est vraiment poignant de voir des événements aussi destructeurs dans les yeux des enfants”, lance Guillaume, un visiteur. “Quand on commence à juxtaposer ces dessins, on voit des affinités graphiques ou narratives entre eux”, explique Girardeau. Ces enfants et leurs dessins ont, selon elle, le pouvoir de “décloisonner l’histoire” et de construire des “ponts entre les mémoires”.
Le dessin comme refuge, preuve et acte de résistance
Au fond de la pièce, une voix attire le public. C’est celle de Françoise Héritier, ethnologue et anthropologue décédée en 2017. Dans une vidéo, elle décrypte un dessin coloré et étonnamment précis, repéré par l’ONG Waging Peace. Des chars d’assaut, des véhicules armés de fusils-mitrailleurs, des cases bombardées par des avions, un homme décapité au sol…
Ce dessin, réalisé par un enfant de neuf ans, documente avec froideur l’attaque de son village du Darfour par l’armée soudanaise et les miliciens arabes janjawids en 2003 et en décrit les techniques d’exécution. Le dessin est avant tout un refuge. Comme pour cette fillette irakienne de 8 ans, dont l’œuvre, récoltée par l’ONG Médecins sans frontières, clôture l’exposition.
Effrayée par un membre du groupe djihadiste État islamique, qui avait un temps conquis de larges pans de l’Irak, elle a, à son arrivée dans un camp de déplacé·e·s au Kurdistan irakien, rempli une feuille blanche avec de petites fleurs roses, comme pour se rassurer avec la beauté de la nature.
Ces œuvres exposées jusqu’à fin août constituent des actes de résistance et offrent un contraste déstabilisant entre la fragilité et la naïveté des traits et l’horreur des actes représentés. Zérane S. Girardeau espère aussi qu’elles puissent servir un jour “d’éléments d’informations contextuelles sur des crimes destinés à être jugés” par la Cour pénale internationale.
L’exposition “Déflagrations”, à voir au Mucem (Marseille) jusqu’au 29 août 2021.
Avec AFP.