Alors que nous sommes juste au milieu de l’année, 2019 est déjà très prolifique pour les femmes dans le milieu du rap. En effet, Billboard annonce que Saweetie est la septième rappeuse à rentrer dans le HOT 100 depuis le début de l’année. Elle rejoint Nicki Minaj, Cardi B, Iggy Azalea, Lizzo, Megan Thee Stallion et le duo City Girls (Yung Miami and JT).
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L’année 2018 a déjà été marquée par la mise en orbite de Cardi B et son naturel désarmant. Toujours franche et à l’aise dans n’importe quelle situation, elle a changé la vision de l’artiste rap féminin auprès du grand public avec une figure indépendante, sans aucun filtre. Aussi forte musicalement que sur ses réseaux sociaux, la rappeuse du Bronx est devenue un nouveau modèle de carrière.
Il y a toujours eu des femmes dans le rap américain depuis ses débuts. Salt-N-Pepa, Roxanne Shanté, Queen Latifah, MC Lyte, Lil’ Kim, Trina, Lauryn Hill ou Foxy Brown, le panorama, au fil des années, s’est étoffé avec de nombreuses personnalités fortes, des véritables marqueurs générationnels très hétérogènes.
Mais pourtant, elles ont toutes un point commun : avoir gagné leur exposition au sein d’une équipe confirmée ou en duo avec le parrainage d’un rappeur en vue. Même Nicki Minaj entre dans ce club avec son affiliation à Young Money Entertainment et son accointance avec Lil Wayne et Drake.
Cardi B est la première artiste à s’affranchir totalement de cette égide, en proposant des morceaux très féministes qui s’adressent à son public, sans intermédiaire. Dans son approche brute et sans concession, l’impact de son morceau “Bodak Yellow” commence à avoir des répercussions, ouvrant enfin des portes de coffre-fort blindé pour une nouvelle génération de rappeuses.
Voici dix artistes féminines en pleine ascension, qui ont déjà trouvé leur public avec des millions de vues chacune, mais qui sont restées, pour l’instant, dans l’ombre de la bataille Nicki Minaj / Cardi B pendant ces derniers mois. Comme si finalement, dans l’inconscient collectif, il ne pouvait y avoir qu’une seule artiste femme dans ce paysage musical aride qu’est le rap. Maintenant que la femme s’émancipe totalement dans ce dur milieu, il est temps que les médias en prennent conscience et leur apportent aussi plus de crédit.
Megan Thee Stallion
Originaire de Houston, Megan Thee Stallion est actuellement l’artiste rap le plus performant du Texas, tout sexe confondu. Explosive et provocatrice, elle déborde d’un charisme royal qui devrait l’emporter très loin. Spécialisée dans la destruction massive, elle est adoubée par Wale et Q-Tip, épaulée par T. Farris, l’agent d’autres stars texanes comme Paul Wall ou Mike Jones. Megan cite le légendaire Pimp C comme source d’inspiration principale pour son bagout et son aura extra-musicale. La marque des grands.
Megan Thee Stallion excelle dans deux disciplines complémentaires : le freestyle cru et le twerk athlétique, qu’elle dissémine intelligemment sur son compte Instagram. À l’été 2018, elle a sorti son premier projet Tina Snow chez 300, le label qui a déjà accueilli Young Thug, Fetty Wap ou Tee Grizzley. En mai 2019, elle prend totalement son envol avec Fever un album électrique, complet et frontal.
Saweetie
Saweetie vient de la Bay Area, région du nord de la Californie, très influente et prolifique quand on parle de rap. 2018 a été une année bien remplie pour cette rappeuse au talent froid et aiguisé. Avec son premier EP High Maintenance, elle développe de nombreuses facettes avec des titres très marquants. La palme revient au très court “ICY GRL” et ses 65 millions de vues sur YouTube qui reprend le “My Neck My Back (Lick It)” de Kiah, un tube très explicite de 2002 évoquant des prestations orales de haute voltige à double facette.
Proche de Kehlani et compagne de Quavo, elle collabore aussi avec Zak Abel, G-Eazy ou Rich the Kid. Efficace sur de nombreux terrains, Saweetie n’a pas la langue dans sa poche même quand elle parle de sujets personnels. Avec cette fois-ci une reprise du Crunk enivrant de Petey Pablo sur “My Type”, Saweetie s’installe doucement dans la liste réduite des artistes incontournables en 2019.
Tierra Whack
Parmi toutes ces nouvelles têtes féminines, il y a aussi des défricheuses conceptuelles. Aux côtés des excentricités fluo de Rico Nasty ou des délires arty masqués de Leikeli47, la grande gagnante est Tierra Whack avec son album coup de poing, Whack World. Composé de 15 titres de 60 secondes, ce condensé d’autodérision et d’émotions en roulette russe présente un portrait multifacettes de l’artiste âgé de 22 ans et par la même occasion de la femme en général.
Décliné en vidéo, ce brûlot quasi-politique place Tierra parmi les discours féministes les plus rentre-dedans de ces dernières années. Quinze minutes qui fustigent la dictature de l’apparence de la femme et la violence du body shaming au quotidien. Tierra Whack apporte une version 3.0 de la femme moderne pour 2019.
Kash Doll
Du haut de ses 26 ans, Kash Doll fait déjà office de vétéran dans cette nouvelle scène rap féminin. Avec une personnalité trempée dans l’acier et un débit efficace, la rappeuse est devenue une figure importante de sa ville, Détroit. Droite dans ses bottes, Kash Doll y apparaît comme une femme de poigne au rap très technique, lançant même une tendance dans les noms de jeunes artistes. Comme le “Young” ou le “Lil” avant lui, c’est maintenant le sobriquet “Doll” qui fait fureur. Asian Doll, Cuban Doll ou Dream Doll, de nombreux talents actuels se sentent totalement affiliés à la reine Kash.
Après de longues galères de label, Kash Doll sort enfin son premier projet Brat Mail en 2018. Après son featuring pour Big Sean & Metro Boomin et avec le soutien de Rihanna, Kash Doll devient une des artistes les plus en vue en ce début d’année. Et le visuel épuré de “Ice Me Out” lui donne raison avec déjà 9,3 millions de vues au compteur.
Queen Key
Comme son nom l’indique, Queen Key est la reine de la nouvelle génération à Chicago. Avec ses paroles grivoises et sa voix espiègle, la rappeuse semble être pris d’un fou rire permanent. Appuyé par une aisance impertinente, Queen Key redonne des couleurs éclatantes au rap de sa région, plutôt connue pour sa violence quotidienne et ses morts par balle à répétition. Archétype même du mot “Ratchet”, l’artiste prend le pouvoir en posant ses atouts sans se soucier du regard des autres, enchaînant les bons mots pour faire redescendre toutes les pressions.
L’année passée, Queen Key a sorti son premier projet sobrement intitulé Eat My Pussy, déjouant avec ironie les codes du rap, des strip clubs et du porno. Elle réitère l’exercice en mai 2019 avec Eat My Pussy Again et la saveur est toujours unique. Très proche des stars de Chicago comme King Louie, G Herbo, le producteur ChaseTheMoney ou même Chance The Rapper dans le clip ci-dessus, Queen Key est la nouvelle dose de folie dont vous avez absolument besoin en 2019.
Bangg 3
Autre phénomène nouveau de l’année passée : les groupes de rap exclusivement féminins. Cet avènement est surtout celui du duo City Girls, signé sur le label Quality Control de Migos et poussé par leur sample efficace dans le tube “In My Feelings” de Drake. Mais il y a de nombreux groupes qui passent par la fenêtre entrouverte depuis. Et le plus intéressant est le subversif Bangg 3.
Composée de jeunes post-adolescentes débridées de l’Ohio, cette petite bande excentrique est totalement biberonnée aux frasques violentes de la Drill de Chicago, et surtout son chef de file, le légendaire Chief Keef. Cette petite horde sauvage a même été jusqu’à nommer leur groupe comme un album de leur modèle, Bang 3. Provocateur et insolent, Bangg 3 s’est recentré en duo ces derniers mois et devrait proposer des projets plus construits en 2019, d’une viralité extrême. Un mélange parfait pour le chaos qui nous attend.
Coi Leray
À tout juste 20 ans, Coi Leray a gagné un nouveau statut en 2018. Avec sa mixtape EverythingCoz, elle se place entre le débit décalé du beat d’un YBN Nahmir et la nonchalance fun chantée d’une Kodie Shane. Coi est la fille de Benzino, ancien directeur du magazine hip-hop The Source connu pour sa participation à l’émission Love & Hip Hop et aussi rappeur dans le groupe The Almighty RSO avec un clash légendaire contre Eminem.
En quelques semaines, elle s’est émancipée totalement de ce modèle pour proposer une formule très fraîche et actuelle. Héritière de Dej Loaf, Coi Leray a tout pour devenir une artiste importante de 2019, surtout à la vision de ses clips débordant d’énergie polymorphe. Son projet EC2 est sorti au début de l’année.
Molly Brazy
Comme Kash Doll, qu’elle considère comme sa grande sœur, Molly Brazy est une furie originaire de Détroit. Cette ville du Midwest des États-Unis est connue pour son univers glacial et sans concession, donc un terrain parfait pour le rap tendance dur. Jeune anarchiste de 19 ans, Molly s’est exportée à Atlanta pour éviter un entourage excessif et des bagarres régulières en salon de coiffure. Elle s’exorcise avec des rimes agressives et équivoques, tout en offrant de nombreux conseils pour vivre au quotidien dans les zones défavorisées des villes-mondes américaines.
Comme montée sur un étalon au galop, Molly Brazy lâche la bribe et enchaîne les démonstrations de force du haut de son arrogance juvénile.”Trust None”, son hymne annihilateur de menteuses et autres serpents, a eu un passage dans la série Insecure d’Issa Rae, lui assurant une large audience. Avec deux projets consistants ces derniers mois, Queen Pin et Big Brazy, la rappeuse s’installe durablement parmi les très jeunes artistes à suivre, aux côtés de Bali Baby, Maliibu Miitch et la plus effrontée de toutes, Bhad Bhabie.
Tay Money
Tay Money a adopté les codes des rappeuses de classe moyenne américaine comme Iggy Azalea, Kreayshawn ou Lil Debbie. En dépoussiérant ce genre et en le transformant en délire entre copines, la rappeuse du Texas remet au goût du jour les chevelures peroxydées et les maillots de NBA trop grands, époque Britney Spears.
Sans se prendre la tête, Tay Money engrange les vues et propose une formule simple mais efficace. Propulsée sur la fin de l’année avec le succès de “Trapper’s Delight” et son EP DUH !, le futur devrait être brillant pour la rappeuse de Dallas si elle arrive à transformer l’essai.
LightSkinKeisha
LightSkinKeisha a 24 ans et est originaire d’Atlanta. La capitale des strip clubs est un parfait terrain de jeu pour cette jeune rappeuse qui a grandi avec les travaux de T.I., Lil Jon ou Outkast. Elle est connue pour parler plus fort que les autres, avec une identité atomique à chaque apparition. Son année 2018 a été ponctuée d’un très bon premier album, That’s just the bottom line, avec plusieurs ambiances différentes allant du pur hit de club à la balade RnB type Brandy & Monica.
Très complète, elle propose un très bon morceau avec Blocboy JB, tout en rappelant qu’elle est “Gucci”. Son plus gros fait d’armes reste cet hommage au classique “Back That Ass Up” de Juvenile, 20 ans après. Le strip club est ainsi vu du côté de celles qui y travaillent et qui en retirent énormément de pouvoir et d’émancipation. Une constante immuable à Atlanta qui a donc maintenant trouvé sa nouvelle égérie.
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Retrouvez ci-dessous, “2019 = GIRLS”, une playlist Konbini Radio avec toutes les artistes sélectionnées dans cet article et de nombreuses autres très talentueuses comme DaniLeigh, Killumantii ou Kamayiah. 2 heures de musique 100% féminine.