Le 13 septembre 2011 fut un jour tragique pour le rap français. Des suites d’un accident domestique, le légendaire DJ Mehdi est décédé. Dix après sa mort, il reste considéré comme l’un des piliers de cette musique, et une icône indétrônable qui aura su marquer son époque par la diversité musicale qu’il apportait dans ses productions, par l’avant-gardisme dont il faisait preuve dans les instruments comme dans les samples, et par son implication dans la carrière de grands groupes de rap français du 94, comme Ideal J ou la Mafia K’1 Fry.
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Arrivé dès le début des années 1990, DJ Mehdi incarne le côté familial d’une certaine partie du rap français et se retrouve au cœur du processus de développement d’artistes comme Kery James ou Manu Key. Sa jeunesse et son influence new-yorkaise amènent un élan de fraîcheur et d’insouciance dans les instrus qu’il réalise, et lui permettent de progressivement se faire un nom dans le rap français. Jusqu’à devenir le premier beatmaker star dans la deuxième partie des années 1990, ce qui lui vaudra d’être appelé à collaborer sur de nombreux projets, notamment avec Booba, Fabe ou Rocé.
De son plus gros succès avec Les Princes de la ville aux côtés du 113 aux influences bossa nova en passant par ses premiers pas progressifs vers la musique électronique : DJ Mehdi était un producteur pétri de talent, un pionnier dans le rap français ayant exploré tous les spectres musicaux desquels se sont inspirés les rappeurs par la suite. C’est ce qui lui a permis de perdurer dans le temps et de rester une icône qui touche plusieurs générations. Retour sur certains (parmi tant d’autres) de ses plus gros titres.
Ideal J – “Comme personne ne l’a…”
Quatrième titre de l’album O’riginal MC’s sur une mission, premier album d’Ideal J sorti en 1996 et entièrement produit par DJ Mehdi, “Comme personne ne l’a” reste l’un des titres phares de la carrière de DJ Mehdi. Il est issu d’un sample de “Can It All Be So Simple (remix)” de Raekwon et Ghostface Killah de 1995.
Le titre est rythmé par les sirènes de police, les scratchs, les cloches et les notes aigües qui viennent pimenter une prod sur laquelle Kery James prend soin de travailler des placements chirurgicaux. Un titre qui, 25 ans plus tard, n’a pas pris la moindre ride.
Rocé – “On s’habitue”
À coup sûr un des morceaux ancrés dans le Panthéon du rap français. Un couplet unique de près de quatre minutes, rythmé par un DJ Mehdi à la baguette d’une prod évolutive tout au long du morceau. D’abord avec juste un beat durant 1 m 30, qui incorpore progressivement les différents éléments de l’instru, avec des violons qui donnent un relief incroyable au titre et rythment la performance de Rocé.
“Quand j’ai mixé et réalisé la structure telle qu’on la connaît maintenant, Rocé n’a pas aimé du tout. Il m’avait demandé de remettre comme c’était sur la maquette. Il trouvait que ça mettait trop de temps à commencer, il n’était pas chaud”, avait raconté DJ Mehdi sur la conception du morceau. Un choix finalement judicieux de garder la structure initiale de l’instru.
Booba – “Couleur ébène”
“Booba voulait être surpris, voulait une touche un peu fun pour ce disque”, confie DJ Mehdi auprès de Mowno. Sur un beat aux influences rock et électro, assez propres à la dernière partie de sa carrière, DJ Mehdi a proposé pour cette collaboration inédite avec Booba ce qui ressemble clairement à un des ovnis de ce fabuleux disque qu’est Ouest Side, sorti en 2006.
Un honneur pour le fan d’Ideal J qu’est Booba. Il le rappelle dès le premier refrain avec “un jour tu vis, un jour tu meurs”, clin d’œil au titre “Le Ghetto français” et son “un jour on vit, un jour on meurt”. Par la place particulière qu’occupe ce titre dans la discographie plus que fournie de B20, DJ Mehdi a montré (une fois de plus) toute l’étendue de son talent.
113 – “Tonton du bled”
Un solo de Rim’K qui aura marqué l’histoire. Une récompense aux Victoires de la musique, une performance légendaire en live à bord d’une voiture, une à la Maison de la radio retournée lors de la quatrième édition du Hip-hop symphonique en 2019… Avec évidemment l’inévitable DJ Mehdi à la baguette de ce classique. Un morceau et un album essentiels pour l’avènement du 113 : “Si j’existe, déclare Mokobé du 113 pour Libération, c’est grâce à lui. Il a signé notre meilleur album, Princes de la ville. Personne ne lui arrive à la cheville.”
Rim’K racontait il y a quelques années la construction de ce titre aux côtés de DJ Mehdi pour Grünt : “Je lui disais qu’il fallait faire comme les Américains. Comme eux dans le sens où ils racontent leur histoire. Ça sert à rien de s’en inventer une qui n’est pas la nôtre. Alors on a fouillé avec Mehdi dans les vinyles qu’il y avait chez moi.” Samplant Ahmed Wahby et son titre “Harkatni Eddamaa”, le duo a donné naissance à cet hymne algérien qui est depuis plus de vingt ans le porte-drapeau d’une partie des jeunes issus de l’immigration. Raconter son histoire, c’est la force d’un titre comme celui-là.
Rohff – “Appelle-moi Rohff”
Présent sur Le Code de l’honneur, premier album de Rohff sorti en 1999. Alors qu’on retrouve dans ce titre les qualités d’écriture et de rappeur qui colleront à Rohff toute sa carrière, DJ Mehdi s’est une fois de plus fendu d’une prod d’une originalité caractéristique de ses influences et de sa diversité musicale.
Avec des sonorités très bossa nova, Mehdi parvient, à travers une simple boucle de guitare, à amener du soleil et une certaine douceur sur un texte mélancolique et poignant de Rohff. Aujourd’hui reconnu comme une des premières cartes de visite de la carrière de Rohff, il permet d’asseoir l’importance de DJ Mehdi au sein de la Mafia K’1 Fry.
Fabe – “On n’a pas tous la chance”
Autre monument des années 1990 et 2000, Fabe a lui aussi eu l’occasion de collaborer avec DJ Mehdi. Le membre de la Scred Connexion, dans un feat avec Malik et Mehdi l’Affranchi, s’exprime sur les questions d’inégalité relatives aux différents environnements dans lesquels chaque enfant est sujet à grandir.
Encore une fois, sur un titre a priori profond et poignant, DJ Mehdi prend le thème à contre-pied en proposant une instru très légère, dont la boucle de violon permet de voyager et de s’imaginer en train de voguer vers des contrées lointaines.
Mc Solaar – “Wonderbra”
“Il y avait des orchestrations avec beaucoup de violons, comme si on était en Égypte, confie MC Solaar à propos de DJ Mehdi pour Libération. Dans ses productions, on trouvait toujours un fond old school hip-hop, avec une touche de house. Mehdi avait sans cesse trois morceaux en même temps dans la tête. Ça ne ressemblait qu’à lui.”
Une singularité et une musicalité à la croisée des genres qui lui auront permis de côtoyer tous les grands noms du rap français, que ça soit à l’aube ou au pic de leur carrière. Une ouverture d’esprit et une facilité qui lui permet, dix ans après son décès, de rester dans la tête des gens comme un producteur à part.
Symbole de son génie et de l’absence de barrière artistique, il fut tout de même celui qui permit au 113 de faire en 2002 un featuring avec Thomas Bangalter, membre des Daft Punk.