Des super-héros sans blues ni spleen, nos champions ? Râpé. Humains, simplement humains, ces vedettes nationales peuvent, elles aussi, sombrer. C’est tout le sujet de Strong, aussi forts que fragiles qui, à travers les témoignages de cinq de nos athlètes-stars hexagonaux, révèle “l’envers du décor” ; derrière le collier de médailles, les records battus et l’image des consécrations extatiques – ici racontées à travers plusieurs archives – il y a aussi, parfois, la brûlure de l’isolement. Du doute, des pressions.
Cette part d’ombre, c’est Ysaora Thibus, Valentin Porte, Jérémy Florès, Perrine Laffont et Camille Lacourt qui trouvent le courage de nous la raconter, avec ce documentaire poignant de sincérité, qui résonne comme un cri d’alerte sur le fléau – encore trop souvent stigmatisé, voire ignoré – de la dépression. Un mal que rencontre près d’un français sur quatre au cours de sa vie – jusque dans les hautes sphères de la compétition sportive, donc. Focus.
“Je n’ai jamais fait de tentative de suicide, mais il m’est arrivé de me demander : à quoi bon ?”
Cette fois, ceux qui ont écrit l’Histoire du sport français ne sont pas là pour commenter leurs exploits. Tour à tour, les intervenants rejouent dans une intimité feutrée – façon confidence d’oreiller, presque – un parcours d’exception, entre ivresses du podium et vertiges des nuits d’anxiété.
“Est-ce-que le sport de haut niveau, c’est souffrir ?”, interroge Perrine Laffont, 5 fois championne du monde de ski acrobatique et femme la plus titrée de sa discipline, au moment d’évoquer son down, après le sacre olympique de 2018. Trop “lourd à porter”, ce costume transforme son amour du sport en “corvée” et pousse – presque – l’athlète à jeter l’éponge, définitivement.
Ailleurs Valentin Porte, qui avait hissé l’équipe de France de handball au rang de champion du monde en 2015, puis en 2017, avant de décrocher l’or olympique de 2020, raconte les symptômes de son mal-être, après un raté de compet’. “Je rentre chez moi, puis je fais plus rien. À part, parfois, me servir un verre ou deux pour me permettre de m’évader, quoi. Je vois personne, et je me laisse un peu sombrer”.
Chaque interlocuteur, à sa manière, déroule la même histoire : celle d’une chute brusque et – en apparence – sans fond vers l’atonie. Certains évoquent l’impossibilité de trouver le sommeil, d’autres racontent l’isolement. Sans oublier la boule au ventre, et ce poids asphyxiant qui, nuit et jour, pèse sur la poitrine. “C’était comme si le ciel s’écroulait sur moi, d’un coup tout devenait sombre”, image Jérémy Florès, prodige du surf français rentré dans l’histoire comme étant le plus jeune athlète de sa discipline à s’être qualifié, à 17 ans, pour la World Surf League. Et d’ajouter : “Je n’ai jamais fait de tentative de suicide, mais j’ai réfléchi : à quoi ça sert d’être ici, si j’ai plus d’émotion ? J’aurais préféré être triste, mais je ne ressentais rien, que je gagne ou que je perde. Sans les émotions, il n’y a plus rien”.
Faire sauter le verrou du secret
Avec recul, les athlètes font le lien entre leur carrière et la mélancolie. Camille Lacourt, quintuple champion du monde en natation, aborde par exemple le douloureux sujet de la “petite mort” du sportif. Celui à qui le podium olympique aura toujours échappé aborde les difficultés à reconstruire son identité, une fois le parcours de compétiteur international derrière soi.
Un passage à vide, qui l’aurait poussé vers une existence de “zombie”, monotone et renfermée sur elle-même. Car après tout, auprès de qui s’épancher ? Valentin Porte l’exemplifie avec force : la santé mentale demeure un tabou solidement scellé, dans le milieu sportif : “même à l’entraînement c’est des sujets tellement compliqués à aborder (…) on partage les conneries, les victoires. Mais partager ça, c’est autre chose”.
Dans un écosystème ne jurant que par la performance du “toujours plus”, et où l’on suppose que l’exercice d’un “métier-passion” suffit à prévenir de l’angoisse, rares sont ceux qui osent briser leur image de “machine de guerre”. “Il faut plus d’humanité, de bienveillance et d’indulgence envers des périodes (de down) qui font partie entière de la vie des athlètes”, pose Ysaora Thibus, championne du monde de fleuret en 2022. Avant d’appeler à la mise en place de meilleurs suivis : “il y a une responsabilité du système qui t’entoure de t’accompagner, de trouver des dispositifs pour que tu puisses te reconstruire ou t’arrêter, si t’as envie d’ arrêter”.
Souffler un peu, prendre de la distance – puis se relever. À travers le témoignage de proches (amants, mentors, parents…), le documentaire raconte, aussi, la résilience. Cette période de bascule où ceux qui, depuis l’enfance, n’avait jamais eu que les yeux fixés sur la compétition tournent leur regard au-dedans d’eux-mêmes, pour guérir. “D’un coup, j’ai commencé à faire ce que voulait faire Perrine, et pas Perrine-la-skieuse”, lâche la quintuple championne du monde dans un souffle amusé.
Car oui, Strong, aussi forts que fragiles est aussi un récit de joie. Celui de passions contagieuses (big up à cette séquence où Jérémy Florès confie, les yeux pétillants, être “tombé amoureux des planches de surf avant d’être tombé amoureux des filles”), de solidarité humaine, et de revanches de carrières face aux assauts de l’anxiété. Un vrai message d’espoir, porté bien haut par la prise de parole – encore trop rare dans le milieu sportif – d’athlètes décidés à transformer leur passage à vide en point de départ de leur nouveau challenge : faire changer le regard sur la santé mentale. Camille, Ysaora, Jérémy, Valentin, Perrine sur les starting-blocks. À vos marques, prêts… Partez !