Si le nom de “Bob Ross” n’évoque pas spontanément à votre esprit un zen olympien, tout de rêves cotonneux et de paysages bucoliques, c’est que quelque chose, quelque part, a déconné dans votre existence. Éminente figure TV des 80’s, célèbre pour avoir transmis sa passion à des millions de téléspectateurs hypnotisés par sa maestria picturale – mais aussi, et peut-être surtout son cool -, l’artiste américain est devenu une icône mondiale post-mortem. Avec l’explosion de Youtube, notamment.
Alors auréolé d’un éclat nouveau, l’empereur incontesté des “joyeux petits arbres”, ces figures qu’il peignait par groupe car, comme il se plaisait à le rappeler, “tout le monde a besoin d’un ami, même un sapin”, Bob Ross a été propulsé au rang d’artiste favori des Internets. Une notoriété radieuse, qui a donné lieu de nombreux hommages. Dernier exemple marquant en date : le film Paint dans lequel – en bonne logique ? – l’un des acteurs les plus sympatoches de notre ère, Owen Wilson, endosse son rôle. En reprenant à son compte le phrasé douillet, ainsi que l’inoubliable coupe afro de mister Ross. Tout en s’autorisant de (très) grands écarts, par rapport à son parcours biographique. Focus.
Une version proche de la caricature ?
Mais quelle est cette magie ? Dans la scène d’ouverture de Paint, on observe un créateur de renom, Carl Nargle (Owen Wilson) occupé à peindre un paysage, face à une caméra qui retransmet la séquence on air. Le public boit littéralement les mots – suaves, inspirés – de ce curieux bonhomme à la dégaine hippie, clairement anachronique pour l’époque (le film se déroule à notre ère).
L’excentricité de cette allure ne freine visiblement le succès du type. Toute l’équipe de tournage lui est dévouée jusqu’à l’absurde, et Nargle apparaît comme un bourreau des cœurs aussi sibyllin qu’irrésistible. Le charme qu’exerce le personnage sur son entourage est si surpuissant qu’une question affleure : s’agit-il d’un sketch ? Eh bien, oui et non.
Dans Paint, ce magnétisme est à la fois un ressort comique (voir des gens pleurer lorsqu’il parle de ses tableaux, c’est si excessif que ça en devient drôle), et un tournant narratif, dans la mesure où, bientôt, l’aura du peintre sera écornée par l’arrivée d’une concurrente qui aura vite fait de ringardiser son œuvre. Voilà pour l’aspect fiction. N’en demeure pas moins que les traits distinctifs dudit Carl Nargle s’inspirent très largement d’un authentique personnage : Bob Ross.
Le meilleur humain d’entre tous
Du “vrai” Bob Ross, on sait peu de choses concernant la vie sentimentale – peu importe, d’ailleurs. Ce qui nous intéresse, c’est que cet homme à nul autre pareil est effectivement devenu célèbre grâce à sa technique alla prima (la même que dans Paint) qui consiste à peindre “d’un seul jet”. Résultat ? Des séries de paysages vierges de toute présence humaine, pour chacun réalisé en 30 minutes. Montre en main, s’il vous plaît. Formé en autodidacte à cet art alors qu’il est encore dans l’US Air Force, Bob Ross en fait son gagne-pain grâce à l’émission The Joy of Painting, diffusée sur la chaîne américaine Public Broadcasting Service de 1983 à 1994.
Sur papier, le principe est le suivant : Ross détaille, coup de pinceau après coup de pinceau, son processus de création pour que les spectateurs puissent peindre “avec lui”. Dans les faits, l’émission fait un tabac grâce à la personnalité de l’animateur télé, que des centaines de milliers de téléspectateurs – rarement artistes – se plaisent à regarder… parce que Bob Ross produit le même effet qu’un bon bain chaud. Tout simplement.
Âme sensible, l’artiste à la vibe très hippie (clairement extrapolée dans Paint) évoque avec une tendresse a priori incongrue la beauté de ses “amis les arbres”, les splendeurs de la nature qui l’inspirent. Il y a quelque chose d’évidemment méditatif, dans le ton posé, le verbe affectueux et les créations placides de Bob Ross. Au point que de nombreux fans d’ASMR voient en lui rien de moins que le père spirituel de ce medium de détente.
La preuve. Après que la totalité des émissions de Bob Ross (jamais menacées par une quelconque concurrence, contrairement à ce que suggère le film) se sont retrouvée en accès libre sur Youtube, en cumulant jusqu’à 46 millions de vues pour certaines (!!), et que sa bouille de Chuck Norris version nounours ai donné matière à une myriade de memes, une foule de “asmrartistes” se sont réclamés de son héritage en… l’imitant pour créer du contenu. Le plus belle hommage qui soit.