Les préjugés qui touchent à la santé mentale ont la vie dure, et Tyler Duren (Fight Club) pourrait bien y être pour quelque chose. Dans une enquête parue en 2016 et menée auprès de professionnels (plutôt cinéphiles) de la psychiatrie, 86 % des répondants estimaient que les représentations ciné de la schizophrénie étaient majoritairement associées à la violence, et l’imprévisibilité.
Des mises en scène biaisées, qui alimenteraient une confusion plus large, autour du lien entre maladies mentales et comportements brutaux. Et ce, alors même que 1 français sur 5 souffre chaque année d’un trouble psy, selon une enquête de la Mutualité Française révélée en 2021. Grosso modo : même si cet enjeu nous touche tous, de près ou de loin, il est encore l’objet de stéréotypes infamants. La faute à un défaut d’information public, bien sûr. Mais aussi au cinéma.
Car là où le 7e art, grâce à son pouvoir de diffusion tentaculaire, aurait pu s’ériger en medium d’éducation privilégié sur le sujet, historiquement, il a plutôt cédé aux sirènes du sensationnalisme en jouant la carte de la diabolisation. De l’irréalisme anxiogène, des portraits monstrueux. De quoi nourrir une stigmatisation ravageuse, dénoncée par le corps médical. Et surtout les patients. Focus.
Des œuvres cultes bâties sur une arnaque ?
Ils s’appellent Norman Bates (Psychose), Jack Torrance (Shining) ou encore Andrew Laeddis (Shutter Island). Tous ont en commun de souffrir d’une maladie dont les symptômes cochent plusieurs cases de la schizophrénie. Une pathologie autrement plus “impressionnante” que le trouble dépressif, qui a constitué le terreau fertile de certaines pièces maîtresses du Panthéon de la fiction ciné made in the US. Moyennant un effet “miroir déformant” du diagnostic.
Alors que ces titres donnent à voir, au choix, un serial killer qui se rêve en sa propre mère, un forcené résolu à démembrer sa famille à la hache et l’auteur un rien oublieux du meurtre de sa femme, l‘Inserm est formel : “Seuls de rares cas (de schizophrénie) donnent lieu à des accès de violence au cours d’une crise, et cette agressivité est le plus souvent tournée vers le patient lui-même”. De sorte que la moitié des schizophrènes font au moins une tentative de suicide (TS) au cours de leur vie – alors que le pourcentage de TS s’élève à 7 %, lorsqu’il concerne l’ensemble des 18-75 ans, selon Santé Publique France.
On est loin d’un déchaînement de violence aveugle, ou d’un plan de renversement terroriste de l’ordre mondial, façon Fight Club. Pourtant ce sont bien ces trajectoires sanglantes, souvent portées par des castings 5 étoiles, qui sculptent l’imaginaire commun – brutal, effrayant – lié au trouble psy. Une sordide image d’Épinal qui colle, encore et toujours, à la peau des patients.
Cinéma, caisse de résonance de la psychophobie : le cas Split
Si certaines œuvres peuvent donner l’impression de minimiser l’importance d’une pathologie en la reléguant à l’arrière-plan (le trouble obsessionnel compulsif, dans Aviator), la plupart mettent l’accent sur sa dangerosité supposée – et surtout fantasmée. De sorte qu’il ne paraît pas abusif d’évoquer une tendance à la “spectacularisation” du trouble psy, dans le milieu cinématographique.
Librement inspiré du parcours macabre de William Stanley Milligant, Split brosse le portrait d’un protagoniste atteint du trouble dissociatif de l’identité (TDI). On le retrouve tiraillé entre 24 personnalités dont certaines sont attendrissantes, d’autres… Beaucoup moins. L’une d’elle menace carrément de massacrer plusieurs ados, au nom de son idéal de pureté.
En réaction à la diffusion du film, la Société internationale pour l’étude du trauma et de la dissociation avait dénoncé une œuvre conçue “au détriment d’une population vulnérable qui se bat pour être reconnue et recevoir le traitement efficace qu’elle mérite”. Dans la foulée – et sur un ton similaire – une lettre ouverte signée par des personnes atteintes de TDI tirait à boulet rouge :
“Le TDI a toujours été sensationnalisé, et mis en premier lieu sur le devant de la scène à travers des films. Les Trois visages d’Eve est sorti en 1957 en introduisant les “personnalités multiples” comme une étrange et pitoyable affliction. (…) Dans les 80’s et le début des 90’s, plusieurs fictions censément basées “sur des histoires vraies” a provoqué à notre encontre des scandales et des paniques morales qui ont détruit des familles, des carrières, des vies entières. Et réduit en cendres la crédibilité même de toutes les choses que nous pensions établies, vis-à-vis de la pluralité des personnalités (…). Split représente une énième parodie grossière, basée sur la peur, l’ignorance et le sensationnalisme”
Augurant tristement un contrecoup psychophobe après la sortie du film, impulsé par une “nouvelle vague de répulsion et de haine envers les personnes atteintes de TDI”, les auteurs de la lettre ouverte rappelaient avec force, dans une section complémentaire : “nous sommes les résultats d’abus vécu durant l’enfance, de négligence, de traumas sévères. Nous ne sommes pas des meurtriers, ni des monstres. Nous ne sommes pas du divertissement bon marché”.
Euphoria rebat – enfin ? – les cartes
Récemment, plusieurs productions ont posé un regard plus réaliste, moins “spectaculaire”, sur la pathologie mentale. Surtout du côté des séries. Pensons à Euphoria, où Zendaya se glisse – avec finesse – dans les inconfortables baskets d’une ado addict, et bipolaire. À sa manière, Normal People creuse ce sillon en abordant les douloureux rivages de l’anxiété, et de la dépression. Une manière de lever le voile avec pédagogie sur ce qui, aujourd’hui encore, demeure un tabou : la maladie mentale.