OSS 177 : Hubert Bonisseur de La Bath est-il un connard ?

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OSS 177 : Hubert Bonisseur de La Bath est-il un connard ?

"Il s'agirait de grandir, il s'agirait de grandir...".

On le dit chauvin, rétrograde, immature – pourtant, c’est l’un des personnages de fiction adorés des Français. Mais qui est donc vraiment Hubert Bonisseur de La Bath ? Derrière les (épiques) exploits de contre-espionnage au service de la France, pourrait bien se cacher un homme au grand cœur aussi bien… Qu’une raclure de la pire espèce. Alors, pour mieux cerner le profil d’OSS 117, nous sommes remontés loin, très loin. Jusqu’aux origines de l’agent qui, avant d’être une icône parodique, avait brillé en inflexible héros d’une saga littéraire façon James Bond, et inspirée d’un authentique agent secret. Allez. Remontons la bobine ensemble, étapes par étapes.

L’ancêtre distingué de 007 ?

Pour qu’OSS 117 devienne une icône de la culture pop, il a d’abord fallu la rencontre de deux hommes. Le premier se prénomme Jean Bruce. Un type aux mille vies, ayant œuvré au sein de l’ex Interpol, dans l’aviation civile, à la Sûreté… Mais aussi comme acteur auprès d’une troupe itinérante, et comme secrétaire de maharadjah. Oui, ça fait beaucoup. Quant notre second protagoniste à l’existence sans doute non moins romanesque, il s’agit de Leonard Langer. Un homme aujourd’hui connu pour avoir offert ses services à une agence de renseignement des États-Unis, l’Office of Strategic Services, sous le matricule… 117. 

Nos deux gaillards se rencontrent – et sympathisent – lors de la Libération de Lyon. Et, en 1949, Jean Bruce transpose sa nouvelle connaissance dans l’univers de la fiction policière avec Tu parles d’une ingénue !. C’est le début d’une saga de romans de gare qui s’étirera sur plusieurs dizaines de volumes, où l’auteur, en puisant dans son expérience personnelle, met en scène les aventures d’Hubert Bonisseur de la Bath, aka… OSS 117.

Sous la plume de Jean Bruce, l’agent arbore les traits d’un véritable Adonis. Sorte d’archétype d’une virilité un brin old school, du genre “jamais je ne cède, toujours j’ai raison” qui, sur fond de Guerre Froide, est no stop affairé à déjouer les plans d’ennemis de tout poil. Russes, bien sûr. Mais aussi chinois, anciens nazis, mafieux… Ah, encore une chose : le profil notre agent ne serait pas complet, si on omettait de mentionner qu’il était un Don Juan. Tout ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, mais oui. Ce portrait ressemble à s’y méprendre à celui d’un certain James Bond.

Par une ironie du sort, beaucoup voient en Hubert Bonisseur de la Bath un genre de “sous-Bond”, alors même qu’il précède (et a sans doute inspiré…) la naissance de 007, le premier roman de Ian Fleming, Casino Royale, n’étant paru qu’en 1953 – soit quatre ans après les premières aventures d’Hubert. Cette confusion s’explique par la notoriété surplombante de l’agent du MI6, bien sûr, mais aussi par une similitude criante de profils. Autant du côté sans-peur-ni-crainte, que sur le versant… Du machisme décomplexé. Car oui, ces infaillibles maestros de l’espionnage sont aussi les produits d’une époque enracinée dans la misogynie ordinaire.

De héros virilo-alpha à prépubère abruti : les folles mutations d’une icône ciné’

Succès pionnier du genre en France – et même en Europe – les péripéties d’OSS 117, distribuées sous des titres aussi alléchants que Tactique Arctique ou Double Bang à Bangkok, donnent lieu à plusieurs adaptations audio-visuelles dont les plus fameuses, dans un premier temps, sont signées André Hunebelle, l’illustre papa de la saga Fantomas. Nous sommes dans les sixties et à l’écran, OSS 177 apparaît alors comme un homme à l’ego surdimensionné, tout à la fois inlassable dragueur et bagarreur sans faille – souvent jusqu’à l’invraisemblable. Toujours très jamesbondien dans l’esprit, quoi.

Ce n’est qu’avec la série d’adaptation orchestrée par Michel Hazanavicius, et portée par Jean Dujardin, que OSS 117 prend une toute autre dimension. Dans Le Caire, nid d’espion (2006) celui qui était autrefois un modèle hyperbolique d’astuce mâle devient… Un ado tout sauf finaud, pour le dire vite. Eh oui, soudain, Hubert Bonnisseur de la Bath se déguise en Robin des bois et pouffe de rire, façon gosse de primaire, à propos d’un jeu de mots sur les “boules de Noël”. Régression infantile, dites-vous ?

Bon. Le fleuron du renseignement français s’est transformé en prépubère un peu lourdaud, entendu – mais si ça n’était que ça. Malheureusement, cet OSS 117 nouvelle mouture se distingue aussi par des saillies xénophobes, misogynes et homophobes. Sans oublier son penchant pour un chauvinisme aux relents coloniaux. De fait, le personnage cristallise l’intolérance délétère de toute une époque – celle des années 50-60 dont, justement, le cinéma de Michel Hazanivicus offre une caricature à travers la réinterprétation du personnage d’Hubert, mais aussi la mobilisation des codes ciné’ d’alors. Que ce soit du côté des James Bond de Sean Connery, ou de la filmographie de John Wayne…

En somme, à travers ses “comédies de détournements” Hazanavicius tourne en ridicule les travers d’antan – et dénonce ceux d’aujourd’hui. C’est grâce à ce biais humoristique qu’OSS 117 nous paraît plus nigaud que malveillant. Perché haut, très haut, dans son monde où René Coty est roi, et où les dictatures se reconnaissent à ce que les gens ont “des chapeaux gris, et des chaussures à fermeture éclair”, Hubert n’a pas la moindre conscience de la portée de ses “convictions”. Raison pour laquelle sa rencontre avec des personnages racisés, activistes ou précarisés débouche systématiquement sur des décalages immenses – abyssaux, même – à la portée comique.

Dans un environnement sensibilisé aux problématiques d’émancipations, Hubert, qui n’a rien, mais vraiment rien, d’un œil de Lynx passe pour l’idiot du village, format cliché sur pattes. De là à dire que c’est un salaud ? Pas évident, dans la mesure où Hubert cherche toujours – maladroitement, certes – à faire “le bien”. Par ailleurs, ses péripéties le conduisent souvent à changer, au moins un peu, de mentalité. Preuve par le fait qu’il ne s’agit pas tout à fait d’une cause perdue. De sorte qu’on ne serait pas si étonné qu’au fil des années, le plus franchouillard des agents secrets se transforme en… Progressiste ? Affaire à suivre.