On l’aurait presque prise d’affection, cette fratrie, à force de la voir accumuler les pitreries. Quiproquos à gogo, braquages avortés, plans d’évasions vaseux… Véritables machines à gag dans la BD créée par le dessinateur Morris, les Dalton étaient toutefois des truands de grands chemins dont le quidam se serait bien gardé de se moquer, à l’époque où ils sévissaient.
La voilà, la recette de l’humour façon Lucky Luke. Draper d’un voile humoristique les pires aspects de la conquête de l’Ouest (colonisation, système judiciaire arbitraire, montée du banditisme…). Focus sur cet art du travestissement historique qui a fait de l’univers de “l’homme qui tire plus vite que son ombre” une comédie dont les ressorts fonctionnent aujourd’hui encore.
Une ère troublée transformée en terrain de jeu
Lucky Luke c’est près de 80 albums BD, plusieurs séries télévisées, deux longs métrages en live action et un décor commun : le Far West. Plus précisément celui de la seconde moitié du XIXe siècle, entre le début de la guerre de Sécession en 1861 et les années 1890. De cette plage historique pendant laquelle les États-Unis se sont construits au prix du sang de milliers d’individus et de conflits fratricides, Morris a fait un monde d’aventures où le Bien (Lucky Luke) triomphe aussi sûrement du mal (Dalton & consort) que notre cow-boy favori ne rate jamais sa cible.
Sous le crayon du dessinateur belge, les plus grands symboles de l’époque deviennent l’occasion de narrer des péripéties hautes en couleurs. C’est vrai pour la ruée vers l’or, le développement du chemin de fer, l’arrivée du télégraphe ou encore la colonisation des terres indiennes. Mais c’est aussi vrai concernant toute une galerie de personnages historiques.
“Du calme, Joe !”
Dans l’univers de Lucky Luke, les frangins Dalton sont si balourds et désordonnés qu’ils peinent à semer Rantanplan (c’est dire). Et ils sont fictifs. Enfin, Joe, Jack, William et Averell sont fictifs. D’autres Dalton ont bel et bien existé, et ceux-ci n’étaient pas du genre empotés.
Élevés au sein d’une famille de classe moyenne, Robert, Grat, William et Emmett Dalton sont entrés dans la criminalité par la petite porte dans les années 1880-1890. Vols de chevaux, trafic de gnôle… Jusqu’à des attaques ferroviaires retentissantes sur la ligne de Santa Fe, qui ont largement participé à bâtir leur légende. Autant dire qu’on est bien loin des hold-up foireux mis en scène dans les BD de Morris-Goscinny, ou le film de Philippe Haïm (Les Dalton, disponible sur Prime).
De la même manière, peu de points communs entre l’authentique Billy the Kid, auteur d’au moins 9 meurtres, et le garnement inventé par Morris – leur délinquance prématurée exceptée. Quant à Jesse James, si le personnage fictif des albums se prend pour un Robin des Bois habile à détrousser mais peu enclin à verser le sang, l’homme dont il est inspiré, lui, était aux commandes d’un gang réputé pour sa brutalité, et responsable de multiples homicides.
Quel avenir pour Lucky Luke ? (et ses antagonistes)
Près de 75 ans après sa première apparition sur les planches de Morris, l’as de la gâchette n’est pas près de ranger ses éperons. Un cow-boy dans le coton, ses avant-dernières aventures illustrées, avait cartonné dans les librairies en trustant la première place de la BD la plus vendue en France durant l’année 2020. Autant dire que Lucky Comics, sa maison d’édition, aurait tort d’arrêter la machine.
Côté audiovisuel, Lucky Luke devrait apparaître (à nouveau) sur nos petits écrans sous la forme d’une série en prise de vue réelle chapeautée par nul autre que Michaël Youn, qui interprétait Billy the Kid dans le Lucky Luke de James Huth, sorti en 2009.
L’auteur de Fatal sera à la fois cocréateur, réalisateur et producteur artistique de ce nouveau projet. Sans surprise, il s’agira d’une adaptation des BD originelles avec, au casting, des figures bien connues. Calamity Jane, Rantanplan et… les Dalton, accompagnés de leur Ma’ bien entendu, et vraisemblablement aussi abrutis qu’à l’accoutumée. “I’m a poor lonesome cow-boy…”, oui Lucky, tu as encore du pain sur la planche.