Petit jeu. Si je vous dis repas chez tatie avec les parents, la fratrie et les petits cous’, vous me dites… angoisse ? Bon, bon. Après tout, il faut reconnaître que le théâtre familial apporte, parfois, son lot de tensions. Un ado en crise par ci, une mère-grand un chouïa trop “MAIS TU NE MANGES RIEN !! “ par là. Tout est prêt à exploser façon cartoon – manque juste l’étincelle qui allumera la mèche. Le “mot de trop” sera-t-il lâché en plein Noël, entre le plat de résistance et la bûche ? Catastrophe annoncée. À moins que… Oui, à moins qu’il ne faille (vite, vite) relativiser l’état des crispations familiales et, pourquoi pas, apprendre à voir d’un œil plus attendri, moins intransigeant, l’énième bourde de ce frangin qu’au fond, vous aimez depuis J-1.
Pour s’engager en douceur vers ce rapport pacifié à votre smala, mater Little Miss Sunshine est un premier pas bienvenu. Eh oui. Le chef-d’œuvre oscarisé du duo Jonathan Dayton-Valerie Faris a beau se dérouler sous le soleil de Californie, prendre pour protagonistes des loosers patentés et dresser le profil étonnement touchant d’un pépé fan de magazines pornos, ce succès surprise du ciné’ indé made in US a tout du film de Noël. Aussi feel good, que réconciliateur. La preuve.
On est chez les fous, là ?
Dans la famille Hoover, je demande d’abord… le père. Richard (Greg Kinnear), puisque c’est son prénom, est conférencier et coach de vie – tant mieux pour lui. Après tout, il faut au moins trois décennies de positive attitude pour encaisser l’ambiance qui règne dans sa baroque. N’y allons pas par quatre chemins : c’est un bordel sans nom. D’abord, il y a le “problème” du propre père de Richard, un vétéran acariâtre de la Seconde Guerre Mondiale venu s’incruster chez son fiston après avoir été expulsé de sa maison de retraite. Motif ? Vente, et usage, d’héroïne. Rock’n’roll.
Parmi la galerie des personnages hauts en couleurs (on est poli) qui partagent le quotidien dudit Richard, comptons aussi sa femme Sheryl (Toni Collette), au bord du burn out émotionnel. Motif de ce craquage ? Son frère (Steve Carell) a trouvé refuge dans la maison familiale, lui aussi, après avoir tenté de de suicider, à la suite d’un amour contrarié, d’un job perdu comme prof en université et… d’autres mauvais coups du sort. Voilà, voilà. En plus de devoir gérer ce frangin tombé dans une dépression abyssale, Sheryl doit composer avec son fils Dwayne, né d’un premier mariage, qui a fait vœu de silence. En conséquence de quoi, l’ado ne communique que par bloc-notes. Et souvent pour partager des idées du genre plutôt noires, du genre : “je HAIS tout le monde”.
Donc bref. Il y a évidemment de quoi péter les plombs du côté des Hoover mais, au milieu de ce marasme, point une lumière : Olive. Une môme survoltée – surtout lorsqu’elle apprend qu’elle s’est qualifiée à un concours de beauté pour gosses, Little Miss Sunshine. Seulement voilà, la compétition se déroule à plus d’un millier de kilomètres, sur la côte californienne. Comment s’organiser pour que la fillette puisse toucher, ne serait-ce que du bout du doigt, son rêve ? Bon an, mal an, c’est toute la famille qui s’embarque à bord d’un vieux Volkswagen Combi pour accompagner la petite dernière. Débute alors un road trip-catastrophe comme on les aime. Sorte d’épopée foireuse qui, malgré les bourdes et les déconvenues, rendra possible ce qu’aucun des Hoover n’était plus prêt à croire : passer un moment sympatoche en famille.
Esprit de Noël, es-tu là ?
On a bien dit “un moment sympatoche”. Ici – et c’est peut-être la différence avec un Christmas movie tradi’ -, ne vous attendez pas à ce que les Hoover, par un coup de baguette magique, remettent tout à coup leur vie en ordre. Et qu’ils se transforment en espèce de famille modèle, auquel l’avenir tendrait bien gentiment les bras, de loosers à winners. Non, pas de happy ending grandiloquent dans Little Miss Sunshine – le film est trop cru, trop satirique, pour verser dans cette guimauverie. N’empêche qu’à mesure que le film progresse, on assiste, forcément un peu ému, à des petits pas en avant qui, aussi modestes soit-ils, ouvrent la fenêtre aux liens familiaux pacifiés – enfin.
Exemple : ce grand-père réac’ aux relents homophobes, à force d’avoir le frère homosexuel de Sheryl en compagnon de route, révisera-t-il ses positions ? Cette scène drolatique où le premier offre – maladroitement, certes – un magazine porno gay au second le laisse espérer. Et que penser de notre ado mutique, et pour le moins dark attitude, qui voit son rêve d’entrer à l’United States Air Force Academy voler en éclat (le malheureux se révèle daltonien) ? Après l’explosion de rage, vient le moment de renouer un dialogue si longtemps interrompu, auprès des siens.
Bref, sans qu’on s’y attende, le road trip s’est transformé en thérapie de groupe pur jus. La preuve avec cette séquence finale où Olive performe comme une diablesse, lors de son concours de beauté, tandis les autres concurrentes – vachement plus “tirées à quatre épingle” qu’elle – enchaînent les surperformances. Clairement, avec son déhanché outrancier et ses dance mooves provocateurs, la môme fait tâche. Les Hoover auraient pu prendre la poudre d’escampette, avoir honte – bref, désolidarisé. Mais non. Alors qu’Olive commence à être hués par quelques esprits chagrins nichés dans le public, voilà que toute la petite famille grimpe sur scène pour la soutenir. Et surprise : une fois sous le feu des projecteurs, là, faisant front commun pour l’une des premières fois de leur vie commune, ils s’éclatent à fond. Et nous avec eux.