Mais pourquoi le déluge des coups de feu résonne-t-il comme un clap de fin, dans Mon Nom est personne ? C’est qu’avec cette œuvre de 1973, le western tire sa révérence sans amertume – et avec panache, bien sûr. Un adieu tout en humour, punchlines acérées et rencontres rocambolesques orchestrées en partie, au moins, par celui-là même qui avait impulsé la renaissance du western, grâce à sa variation “spaghetti” : Sergio Leone. Focus sur un film à la paternité débattue, mais que chacun s’accorde à ériger en “bouquet final” d’un des registres les plus cultes de l’histoire du cinéma.
Ascension et chute d’un genre
Piqûre de rappel. Au moment de tourner Mon Nom est personne, courant 70’s, les beaux jours du western semblent far, far away. Tout d’abord, le manichéisme qui caractérisait l’âge dit “classique” du registre débuté en 1930, et porté par des figures de bons samaritains virilos-alpha à la John Wayne, paraît has been. Courant 50’s, le public adhère de moins en moins à cette promotion à peine voilée des valeurs traditionnelles de l’Amérique, mise en scène à travers des affrontements aux grosses ficelles, style “gentil shérif VS méchants malfrats”.
Sergio Leone sauve le western de la ringardisation en évacuant cette dimension moraliste. Lui et une poignée d’autres réalisateurs européens (italiens, surtout) déclinent durant les sixties le genre vers ce qu’on appelle aujourd’hui le “spaghetti”en introduisant des antihéros aux profils troubles. Du genre sans foi ni loi, qui ne jurent que par leurs colt.
Le regain d’intérêt est certain. Avec Il était une fois dans l’Ouest, Leone lâche en 1969 l’opus magna du sous-genre. Seulement voilà, dans la foulée, de nouvelles productions font basculer le “spaghetti” vers la caricature, à l’appui d’une dépiction grand guignolesque de la violence, et de blagues flirtant avec le potache. Pas question que l’insigne auteur de la Trilogie du Dollar laisse les codes qu’il avait introduits se faire ridiculiser sans riposter.
Leone contre-attaque
Parmi les films à succès qui auraient “perverti” le spaghetti, on compte surtout On l’appelle Trinita (1970) ainsi que sa suite, On continue à l’appeler Trinita (1971). Sous la caméra de leur réalisateur, Enzo Barboni, soudain – sacrilège ! – les notes brutales qui étaient typiques du “spaghetti” cèdent la place aux… Farces. Leone envisage alors une réponse à ce supposé dévoiement. Appellation du projet ? Mon nom est personne. Une référence évidente à l’Odyssée, où Ulysse se fait appeler “personne” pour échapper au cyclope. Mais aussi un pied-de-nez aux titres des films de Barboni suscités.
Besoin d’une preuve, pour s’en convaincre ? Celui qui est retenu pour interpréter “Personne” n’est autre que l’acteur qui avait égayé le public en campant “Trinita” : Terence Hill. Sous la supervision de Leone – mais aussi et surtout de Tonino Valerii, qui était son assistant directeur sur la Trilogie du Dollar, et dont certains soutiennent qu’il a réalisé la majorité de Mon Nom est personne -, l’acteur se glisse dans les bottes de celui qui se fait appeler “Personne”, donc. Un pistolero très lucky lukesque, bien décidé à suivre à la trace un homologue plus âgé et à l’aura légendaire, Jack Beauregard. Sorte d’as de la gâchette interprété par nul autre qu’Henri Fonda, connu du grand public, notamment, pour son rôle dans Il était une fois dans l’Ouest. Tiens, tiens…,
Réinterprétant avec humour – mais sans moquerie – les codes du western, Mon Nom est personne jongle entre des “scènes-types” du genre (gros plan lors de face à face…) et séquences quasi cartoonesque, où Personne enchaîne d’improbables démonstrations de son habileté. Mais que ces scènes ne trompent pas. Derrière l’humour débridé se tisse, en arrière-plan, la trame d’un récit doux-amer. Une fresque émue, ancrée dans les dernières années de la conquête de l’Ouest (nous sommes en 1899), et portée par une BO magistrale, signée par le non moins magistral Ennio Morricone, qui avait déjà fait des étincelles aux côtés de Leone sur Le Bond, la Brute et le Truand.
Au revoir, l’Ouest
Beauregard est un héros à l’étoile pâlissante, décidé à quitter les États-Unis pour écouler une paisible retraite en Europe ; son adulateur, Personne, l’y encourage. Mais à la condition que son maître se fasse un nom dans l’Histoire en partant en beauté – comprenez : par le massacre en règle d’une meute de malfrats, la “horde sauvage”. Comment ne pas voir dans cette fable d’admiration intergénérationnelle, et de trajectoire sur le déclin, la métaphore d’un crépuscule du western himself ?
Avec Beauregard qui fait ses adieux aux grands espaces d’Amérique, c’est tout le genre qui tire sa révérence. Non sans nous offrir le spectacle d’un dernier tour de piste, d’un ultime coup d’éclat (la confrontation entre le tireur d’élite et la “horde”). Dans une lettre adressée à son “élève”, le vieux loup écrit : “Essaye de retrouver un peu de ces rêves qui nous habitaient, nous autres, de l’ancienne génération. Même si tu t’en moques avec ta fantaisie habituelle, nous t’en serons reconnaissants. Au fond, on était des sentimentaux. (….) Le pays s’est développé et il a changé. Je ne le reconnais plus. Je m’y sens déjà étranger. Le pire, c’est que même la violence a changé. Elle s’est organisée. Un coup de révolver ne suffit plus, mais tu le sais déjà, car c’est ton siècle, ce n’est plus le mien”.
Des lignes attendries, qui sonnent le glas d’une ère. Ironie ou bonne logique, c’est sous l’impulsion de Sergio Leone himself, pape incontesté du “spaghetti”, que cette page s’est tournée. La boucle du western est bouclée. Bon vent !