Mais au fait : Dirty Dancing est-il vraiment “dirty” ?

Chaleur

Mais au fait : Dirty Dancing est-il vraiment “dirty” ?

Si le film culte n'est pas aussi olé-olé que son titre le suggère, il n'en conserve pas moins des notes de féminisme affirmé.

Nous aurait-on menti ? Œuvre générationnelle, Dirty Dancing se présente, par son titre pour le moins aguicheur, comme un produit libidineux post “révolution sexuelle” des 70’s. Quelque chose d’explosif, aux voluptés si trash qu’elles n’auraient pas leur place sur le grand écran. Et pourtant. Après avoir maté “le” film musical des eighties (“The, time of my liiiiiiiiiiiife”), on est bien obligé de reconnaître l’évidence : ce récit d’une romance contrariée paraît bien sage, sinon franchement plan-plan. Surtout à l’œil du contemporain, abreuvé depuis des années aux clips, séries et produits culturels repoussant sans cesse les limites du “érotiquement acceptable”- et donc peu propice à être émoustillé par les danses “lascives” des tourtereaux. Le porté, certes, c’est classe à l’image mais… “dirty” ? Y’a rien à voir, circulez.

D’un mot : l’œuvre aux innombrables séquelles, compétitions éponymes et prequels en tout genre pourrait bien n’être qu’une vaste arnaque. À moins que… Oui, à moins que Dirty Dancing, à bien y regarder, cache quelques éléments scénaristiques authentiquement explosifs ? On fait le point, à la loupe.

Une sainte-nitouche à la dérive ?

D’abord, quelques rappels. Eleanor Bergstein a tissé la trame de Dirty Dancing sur une base autobiographique. Elle-même est née d’un père docteur, passait ses vacances vers les montagnes Catskills, dans l’État de New-York – et, surtout, notre scénariste participait fréquemment à des compet’ de danse, étant jeune. Voilà pour le matériel de base. L’idée d’adapter ces fragments de vie en film musical est née d’une frustration : en 1980, Eleanor écrit le scénar’ de It’s My turn, mais les producteurs coupent à la serpe la partie du script incluant une scène de danse jugée trop… Érotique. Eux n’en veulent pas ? Tant pis, l’idée de créer un film musical à partir de cette déconvenue a germé. Et donnera Dirty Dancing, sous la réalisation de Emile Ardolino.

Grâce à sa BO d’anthologie et ses chorégraphies tirées au cordeau, l’œuvre, rapidement multi-récompensé, s’impose comme un immense succès. Mais, à l’image, que reste-t-il du désir d’Eleanor de proposer au public un film-ode au désir, ouvertement langoureux ? A priori, pas grand-chose. Après tout, l’histoire de la protagoniste principale (“Bébé”) est celle d’une gosse de riche venue passer des vacances huppés dans un décor de rêve. On comprend rapidement que cette passionnée de l’économie des pays “sous-développés”, et franche défenseuse du movement for peace (le film se déroule en 1965, nous sommes alors en pleine guerre du Vietnam) est promise à un bel avenir. Notamment grâce aux économies de pôpa, propices à lui ouvrir les portes des meilleures universités. 

La trajectoire plutôt plan-plan, et pour le moins favorisée, de Bébé est quelque peu bousculée par la rencontre avec les employés de la résidence. Des prolo’ auprès de qui elle s’encanaille en participant à leurs contre-soirées aux chaleurs moites, et en s’amourachant de Johnny, un danseur pro chargé de donner des cours aux gros portefeuilles. Aussi et surtout, Bébé s’arrache à son rôle de study girl rasoir en apportant son aide à Penny, la partenaire (professionnelle) dudit Johnny, contrainte d’être avortée suite à une grosse non-désirée. Problème : la pratique est alors illégale.

Du girl power, pour braver l’interdit

Eh oui. Le film s’ancrant en 1965, l’époque est à la Seconde Guerre “d’Indochine”, oui, mais aussi à l’IVG proscrite – l’arrêt dit “Roe vs Wade”, qui garantissait le droit d’avorter sur l’ensemble des États-Unis, n’ayant été promulgué qu’en 1973. D’une part, Dirty Dancing met en scène sans édulcoration les périls des avortements clandestins (mauvais outils, prix exorbitants, médecins-bouchers…). Et de l’autre, le film s’organise autour d’un élan de compassion pur jus : touchée par le sort de la pote Penny, Bébé “pique” dans les poches de papa pour financer l’opération, et s’essaye à la danse pour reprendre son rôle, lors d’une représentation. Manœuvre qui permettra à la malheureuse de réaliser son IVG sans susciter de doutes.

À cet égard, Dirty Dancing brosse un élan de sororité assez avant-gardiste. Jamais en compétition, Bébé et Penny s’épaulent l’une l’autre. Et la première vient au secours de la seconde sans remettre en question, ne serait-ce qu’une seconde, son choix d’IVG. Une tournure scénaristique qui résonne d’un écho alarmant aujourd’hui, alors que les interdictions et les restrictions concernant l’avortement concernent aujourd’hui 21 sur 50 États américains, suite à l’abrogation de l’arrêt “Roe vs Wade” suscité en 2022.

Quand la flamme du désir (féminin) s’embrase

En somme, Dirty Dancing c’est l’histoire de meufs qui s’entraident dans une épreuve de meufs, et contre l’idée qu’une “fille facile” (qu’est-ce, d’ailleurs ?) ne mériterait pas de soutien. Mais le récit de Eleanor Bergstein doit aussi son succès à l’illustration 100 % décomplexée du désir féminin. Alors que les films de l’époque nous habituaient plutôt à des rôles féminins passifs, objets de fascination plutôt que sujets désirant, Bébé étonne par son agentivité. Elle recale sans détours les lourdeaux de la résidence où elle séjourne, dévore du regard son Johnny. Et fonce, fonce, fonce pour faire craquer celui qui, pendant une grande partie du film, ne la considérait que comme une gosse de nantis un peu rasoir, un peu benête. Et très déconnectée des réalités (comprendre : les galères) de l’existence. 

Donc bref. Même si, d’évidence, les quelques scènes de danses serrées, supplément T-shirt trempés made in Dirty Dancing, n’ont pas franchement de quoi nous plonger dans un émoi fébrile, le film n’en aborde pas moins plusieurs sujets brûlants pour l’époque – mais aussi pour aujourd’hui… – comme l’entraide féminine, le pro-choix et la lutte des classes. Alors : subversif, Dirty Dancing ? On vous laisse juge.