Halloween, Saw, Conjuring… Entre cris de surprise et sueurs froides, pourquoi aime-t-on autant flipper raide (au ciné) ?

Ça cogite

Halloween, Saw, Conjuring… Entre cris de surprise et sueurs froides, pourquoi aime-t-on autant flipper raide (au ciné) ?

"La peur récréationnelle inspirée par le grand écran peut-être fun - et même booster la résilience psychologique, ainsi que le système immunitaire " - Recreational Fear Lab

Vous l’avouez sans détour, Halloween, la nuit des masques (1978) de John Carpenter vous a “trau-ma-ti-sé”. L’ambiance creepy, la musique obsédante – et puis le glauquissime masque de hockey porté par l’infernal Michael Myers, bien sûr. Oui, ça vous a “trau-ma-tisé” – et pourtant. Ça aussi, vous le confessez : ce sentiment d’angoisse qui vous prend à la gorge, au souvenir du calvaire subi par Jamie Lee Curtis (proie dudit Myers), ne vous a pas empêché de mater Halloween 2 (1981). Puis d’acheter des places de ciné, pour vous installer devant les suites de la franchise parues courant 2000’s. Pur masochisme ?

Le motif de cet apparent illogisme – avoir réitéré l’expérience d’un truc qui fout une peur bleue – est légèrement plus subtil que l’hypothèse du “j’adore avoir mal”, à en croire Marc Malmdorf Andersen et Mathias Clasen, respectivement spécialiste en sciences cognitives et chercheur en littérature, tous deux à la tête du Recreational Fear Lab. Un centre d’étude qui enquête à partir de méthodes expérimentales, et quantitatives, sur la “peur récréationnelle” que peuvent susciter Conjuring, Terrifier, et autres films consorts appartenant au registre de l’horreur. Un genre ausculté dans le détail par le comédien Etienne Jeannot, auteur de Les stratégies de la peur dans le cinéma d’horreur, qui défend l’idée que l’angoisse qui se joue dans les salles obscures puisse, paradoxalement, s’avérer… plaisamment sécurisante. Discussion croisée.

Commençons par le commencement. Etienne, de quoi parle-t-on exactement, lorsqu’on fait référence au “cinéma d’horreur” ?

Etienne Jeannot – Le registre se distingue par un tronc commun narratif, qui consiste à représenter la menace que fait peser une altérité jugée dangereuse sur un individu, ou un groupe social. Quant aux traits qu’arbore cet “Autre” hostile, ils sont variables en fonction du contexte socio-culturel dans lequel baignent les réalisateurs. Alors que certains films d’horreur japonais mettent en scène l’invasion de “fantômes” tirés du folklore national, un cinéaste américain tel que George A. Romero fait occasionnellement de ses zombies les figures-martyrs d’un consumérisme typiquement états-unien. Autres exemples : Massacre à la tronçonneuse travaille sur la figure-épouvantail des rednecks et des exclus sociaux made in US, tandis que La Colline a des yeux aborde le péril nucléaire, en dépeignant le calvaire d’une famille sans histoire, en proie à une communauté d’humains ravagés par les radiations.

En somme, le ciné’ d’horreur nous effraye en nous présentant le reflet de nos angoisses sociétales  ?

Etienne Jeannot – C’est l’une de ses mécaniques vertébrales, oui. Mais en fonction des zones géographiques et des âges, les stratégies de l’effroi diffèrent. Après la mode des scénarios à L’Exorciste, ou Alien, qui nous plongeaient d’évidence du côté du fantastique, le raz-de-marée des slasher façon Halloween mise sur des mécaniques d’identification entre le public, et des victimes dont le train-train se trouve, soudain, bouleversé par l’intrusion d’un sociopathe“next door”. Le genre qui pourrait frapper dans n’importe quelle ville, n’importe quel quartier – y compris le vôtre. 

Ce souci “crédibiliser” l’illustration du Mal prend une nouvelle dimension avec la vague des found footage, amorcée à partir du succès du Projet Blairwitch, dont la mise en scène brouille la frontière entre fiction et réalité, afin d’éveiller la peur. Une piste “réaliste” contre laquelle le torture porn, incarné par les franchises-stars des années 2000 tels que Saw ou Hostel, va d’ailleurs à contre-courant, en terrifiant son public en soumettant des corps humains – nos corps à tous, spectateurs – à des châtiments physiques si spectaculaires qu’ils en deviennent peu “crédibles”.

On comprend mieux “comment” la terreur opère au ciné. Mais la raison pour laquelle nous, spectateurs, en “redemandons” reste mystérieuse…

Recreational Fear Lab – Cette énigme n’est que d’apparence. Car à bien y regarder, l’expérience de la peur récréationnelle est tout à fait banale. Que l’on pense au plaisir que l’on prend à foncer en vélo sur une pente descendante, par exemple !

Autrement dit, le peur peut se révéler… fun ?

Recreational Fear Lab – Non seulement elle peut l’être, mais certains de ses effets présentent des bénéfices sur le plan psycho-somatique. Nos études suggèrent qu’en “s’amusant” avec la peur, certaines personnes développent, notamment, un type de réponse immunitaire qui aide à combattre les inflammations physiologiques. D’autre part, nos enquêtes démontrent qu’à mesure qu’ils se familiarisent avec la peur récréationnelle, certains profils musclent leur résilience – un peu comme s’ils bénéficiaient d’un “entraînement”, face aux situations de crise.

Plusieurs psychologues envisagent même que la peur récréationnelle soit porteuse de vertus thérapeutiques. Ce, dans la mesure où un individu traumatisé pourrait “reprendre du contrôle” sur un événement d’angoisse vécu, en s’identifiant aux “victimes” des films d’horreur, mais depuis une posture distanciée qui rassure – voire égaye. Dans le cadre de nos recherches, nous avons d’ailleurs relevé que de nombreuses personnes souffrant d’anxiété faisaient de “l’auto-soin” grâce à l’horreur fictive. Hypothétiquement parce que, dans cette configuration de “risque 0”, elles se sentent “en pouvoir”.

Etienne Jeannot – De manière générale, le public retire un plaisir certain à “consentir” à l’expérience de la peur, dans un cadre où l’écran protège. Et où, in fine, les spectateurs sont assurés que “rien ne peut leur arriver”, dans l’abri que représentent la salle de cinéma.

Ça me fait penser à cette sensation grisante de bien-être qu’on ressentait, étants mômes, à observer la pluie battante et l’orage, depuis un intérieur cotonneux…

Etienne Jeannot – Complètement. En ce sens, la satisfaction qu’on retire du visionnage de films d’horreur peut-être qualifiée de “régressive”, et trouve un écho du côté des expériences infantiles où l’on s’amusait à “jouer aux fantômes”, ou à se faire flipper avec des histoires de Dame Blanche. Mais cette dimension ne doit pas faire oublier que la jouissance du cinéma d’horreur se joue aussi sur un plan “adulte”. Au niveau intellectuel, déjà : voir une œuvre d’angoisse, c’est s’offrir un shot d’adrénaline, mais aussi trouver l’occasion de nourrir une réflexion intellectuelle. Avec ses deux antagonistes du troisième âge atteints de troubles propres à cette période-ci de la vie humaine, The Visit de M. Night Shyamalan aborde, par exemple, l’angoisse collective suscitée par la vieillesse. Sans manquer d’interroger la notion de “monstrueux” : à partir de quel moment bascule-t-on du côté de “l’inhumanité” ? Lorsqu’on devient dément ? Lorsqu’on se rend coupable d’un crime – et si oui, de quel crime précisément ? Voilà quelques-unes des questions existentielles que soulève ce film.

Sur un autre plan, et aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, le cinéma d’horreur plaît aussi car il offre une bulle d’oxygène salutaire, dans un monde particulièrement anxiogène. Au fond, qu’est-ce-que qui est le plus terrorisant : l’actualité marquée par l’intolérance, la crise écologique et les crimes de guerre, ou bien un film d’angoisse ? Quelque part, le ciné d’horreur fait l’effet d’une soupape de sécurité en nous faisant oublier, l’espace d’une heure ou deux, que le cauchemar, le vrai, se déroule – malheureusement – dans notre réalité.