Imaginez. Vous rentrez peinard d’un gueuleton entre potes, quand soudain, au moment de retrouver le confort cotonneux de votre salon, vous ressentez une… “présence”. Un rapide coup d’œil devrait dissiper le doute – d’évidence, personne n’est entré par effraction -, mais rien n’y fait. L’impression d’étrangeté infuse. Pire encore : elle grimpe en flèche. Après tout, c’est une certitude, le bouquet qui ornait cette table basse était fleuri à votre départ. Seulement voilà. Vous le retrouvez défraîchi, les pétales éparpillées en pagaille sur le tapis
Et puis d’où vient ce bruit, persistant, de goutte d’eau qui chute, encore et encore, alors que tous les robinets sont fermés ? Décidément, tout ça est trop bizarre. Trop inquiétant. Avant que vous ayez eu le temps d’appliquer votre fameux “on inspire, on expire” d’inspiration yogi-zen, vous tirez une conclusion que vous auriez jugée digne d’un scénario d’horror movie de série B, quelques minutes auparavant, mais qui s’impose à votre esprit, là, maintenant, tout de suite, avec l’évidence d’un uppercut : “Une force malfaisante s’est invité chez moi”.
À partir d’ici, plusieurs options s’offrent à vous. Mais que de détaler comme une blatte apeurée, ou agonir tous vos contacts d’un torrent de textos typés “G PEUR BORDEL”, on ne saurait trop vous conseiller d’opter, plutôt, pour un coup de fil à l’Institut Métapsychique International (IMI). Une structure de recherche parisienne reconnue d’utilité publique, dont les membres explorent les mécanismes du “pananormal” – à l’appui de méthodes scientifiques, uniquement. Autrement dit, ce sont les interlocuteurs tout désignés pour étudier avec méticulosité vos coups de flippe. Et rassurer en conséquence.
Paul-Louis Rabeyron, vice-président de l’IMI, a justement accepté de nous dévoiler les coulisses de cet organisme à nul autre pareil. Actuellement enseignant à l’Université catholique de Lyon où il enseigne le cours “Sciences, société et phénomènes dits paranormaux” cet ex-pédopsychiatre, et ancien directeur d’un Centre Médical Psycho-pédagogique (CMPP), nous partage également ses éclairages, à l’égard de la hypification de la spiritualité – du jeu de tarot au witchtok, en passant par l’astrologie. Une abérante anomalie, à l’ère du triomphe (supposé) de la rationalité scientifique ? On fait le point.
Remontons la bobine. Comment a pu naître, puis se développer, une structure telle que l’IMI alors que l’idée d’enquêter sur les ressors du “supra-naturel” résonne, a priori, comme l’affaire d’illuminés, bercés un peu trop près de la dark fantasy ?
Rappelons qu’à l’orée du XXe siècle le “paranormal” a passionné les esprits de manière on ne peut plus sérieuse. L’époque était alors fascinée par l’émergence de la psychologie, et l’étude des phénomènes “parapsychiques”. Cette curiosité est dans l’ère du temps, tout simplement. De sorte que des profils aussi variés que Jean Jaurès, le philosophe Bergson, ou le couple scientifique que formaient Pierre et Marie Curie, s’y intéressent. L’IMI a été fondée en 1919 dans ce contexte particulier, qui est aussi celui de l’après Première Guerre Mondiale, marquée par un fort attrait pour le spiritisme, dont la pratique laissait espérer un contact d’outre-tombe avec les disparus. D’abord populaire, l’engouement “spirite” a ensuite touché plusieurs scientifiques résolus à étudier, avec une approche rationnelle, les bizarreries des “séances” : c’est le but initial de l’IMI. Un objectif poursuivi non pas dans un esprit religieux – le Spiritisme -, mais à l’aide d’une méthode expérimentale qui a valu à notre structure d’être reconnue d’utilité publique par le gouvernement français, et dont nous cultivons l’héritage en mobilisant les sciences, et les sciences uniquement, dans nos recherches.
Mais enquêter sur le “paranormal” grâce à la science, n’est-ce-pas contradictoire ?
En apparence seulement. Pour muscler notre approche, résumée par le crédo “le paranormal nous n’y croyons pas, nous l’étudions”, l’IMI s’adosse à différentes ressources. D’un côté, les sciences dites “humaines” comme l’anthropologie, la psychologie ou l’ethnologie nous permettent de récolter des savoirs autour de croyances locales, ou encore de rites chamaniques. Et, d’autre part, les sciences “exactes”, ou “dures”, rendent possible l’étude clinique du “paranormal” en laboratoire.
Vous avez donc assisté à l’œuvre de spirites, ou de médiums ?
Dans notre jargon, nous parlons plutôt de “sujets psi”. C’est-à-dire des personnes capables de télépathie, ou de prémonition, par exemple. Une partie du travail de l’IMI consiste à proposer aux personnes souhaitant mettre “à l’épreuve” leurs capacités un certain nombre de protocoles scientifiques. Dans le cas de la clairvoyance – c’est-à-dire la capacité à voir à distance -, nous soumettons ceux qui se pensent “dotés” à des tests : ils doivent deviner quelles sont les cartes tirées par un individu disposé dans une annexe, et donc soustrait au regard direct.
Depuis sa création, l’IMI a accompagné de nombreux “sujets psi”. Certains sont devenus voyants, d’autres magnétiseurs. Mais “l’authentification” expérimentale de ce statut demeure extrêmement rare. Tout simplement parce qu’il est compliqué pour les individus “capables” de performer en laboratoire – et intentionnellement, donc – le “pananormal” spontané qui a pu leur “tomber dessus”, à tel et tel moment de leur vie – c’est le défi de la “reproductibilité”. Malgré ces embûches, de nombreuses personnes nous contactent pour passer ces “examens”. Ou alors obtenir une expertise, sur un phénomène “paranormal” dont ils estiment avoir été témoins.
Auquel cas, vous intervenez sur place ?
Pas au sens où nous serions des ghostbusters de SOS Fantômes, et encore moins le genre de chasseurs de fantômes mis en vedette, du côté de Conjuring. Mais il est arrivé que des équipes de l’IMI se déplacent dans des domiciles, pour tenter d’établir l’occurrence de poltergeists, dont la phénoménologie est d’ailleurs souvent retranscrite avec fidélité dans les films d’horreur. Globalement, il s’agit de déplacements d’objets incompatibles avec les lois de la physique : un vase qui chute d’une table alors qu’il n’y aucun courant d’air, un livre qui tombe brusquement d’une étagère. Face à ces événements, la plupart des personnes angoissent – puis soupçonnent une forme d’intentionnalité malfaisante. Comme l’œuvre d’un esprit courroucé, ou de sorcelleries ciblées.
Cette vision anxiogène du paranormal domine l’espace de la représentation culturelle, même si l’illustration d’autres approches, plus positives, émergent ça et là. Le film Intuitions met par exemple en scène la collaboration entre une unité de police et une médium, pour résoudre l’énigme d’un assassinat. Voilà pour la fiction. Côté historique : notre passé a également démontré que d’autres usages du “paranormal” pouvaient exister. Que l’on pense au projet Stargate mené par la CIA entre 1970 et 1995, qui consistait à utiliser des “sujets psi” pour espionner l’ennemi russe. Ou encore à la sollicitation de magnétiseurs, afin de repérer les ruines enfouies du port d’Alexandrie dans le cadre d’un plan “d’archéologie intuitive” piloté durant les seventies.
Revenons à notre époque. Comment expliquer qu’à l’heure du triomphe de la rationalité scientifique, certains fassent encore appel aux services de l’IMI, ou versent soudainement dans l’astrologie, le tarot et l’oracle ?
En 1905 déjà, le physico-chimiste français Marcellin Berthelot professait : “Le monde est aujourd’hui sans mystère”. Mais l’énigme demeure. Certes, la complexification de la science, due au développement de la physique quantique, notamment, a participé à marginaliser – voire ringardiser – le “paranormal”. Tout spécialement dans la sphère académique, qui a largement fermé ses portes au parapsychologique.
Mais dès les années 60, le développement des sciences “exactes” s’est accompagné d’un “contre-mouvement”. D’abord du côté de la tendance New Age, dont les croyances ont délaissé la vision dogmatique des monothéismes – par ailleurs en déclin -, pour pencher du côté d’une spiritualité individualiste, et pour ainsi dire “faite maison”. Des rites païens par-ci, du folklore bouddhiste par là. Notre époque est marquée par la résurgence de cet élan “artisanal”. Lequel s’accompagne d’ailleurs souvent de critiques, à l’égard d’une science qui, en lieu et place du progrès promis, s’est révélée coupable. Que ce soit à l’égard de l’écologie, d’une “ingéniosité” mise au service de projets militaristes. Ou encore de théories médicales faussées par des biais racistes, ou sexistes. Ce qui est aujourd’hui dénoncé comme les “fautes” de la science a laissé une porte ouverte, par laquelle s’engouffrent des spiritualités oubliées, dont certains espèrent qu’elles pourraient leur apporter des réponses existentielles. Et réenchanter le monde, peut-être ?