Ça y est, il a trouvé “la bonne”. Fary, pour la première fois monogame, a l’air vachement réjoui. Réjoui mais aussi… un peu troublé. Il faut dire que la mise en ménage apporte son lot de bonheur, bien sûr, m’enfin, dans le package, on découvre aussi quelque franches bizarreries. Au fond, comment ça marche, une relation amoureuse pérenne, épanouie ? Voilà l’interrogation aux airs rubik’s cube qui traverse tout Aime-moi si tu peux, le troisième solo show du fondateur du Madame Sarfati Comedy Club. Car oui, après avoir creuser à fond la question de l’identité multiculturelle dans l’Hexagone avec ses précédents spectacles, celui qui a accompagné Panayotis Pascot à ses débuts de théâtre s’aventure vers des rivages jusqu’à lors peu coutumiers : l’intimité conjugale. Un virage net pour l’humoriste, qui nous avait habitué à des thématiques plus politiques, et qui, à l’occasion de ce nouveau spectacle, renouvelle avec fraîcheur le traitement comique d’un motif de sketch vu et revu dans la profession : les affres du couple, donc. Focus.
La reine des galères ? Le couple
Il en est arrivé des trucs chelous, à Fary. Déjà, étant gosse à Saint-Maure-des-Fossé, il avait bien dû s’accoutumer au taré du quartier, “Bertrand le fou”. Celui en face de qui il fallait changer de trottoir, et qui avait une fâcheuse tendance exhib’. Quelques décennies plus tard, notre stand-uper se retrouve (coïncidence ?) à vivre à Strasbourg Saint-Denis, aka le berceau des plus grands forcenés de la capitale. “Et la prochaine fois que j’te vois ici, j’te nique ta mère” dira l’un d’eux à un pote de Fary… qui voyait ledit allumé pour la toute première fois. Question expérience de l’étrange, il y a aussi cette rencontre avec une police marocaine à méticulosité qui frise l’absurde, lors d’une malheureuse rencontre à Casablanca. Bon.
Ces galères travaillent notre comique ; la preuve, il en fait des sketchs. Mais elles ne sont rien – mais alors rien – comparés à la montagne qu’est l’amour. Car le voilà, le vrai sujet de Fary pour ce dernier spectacle. À côté de plusieurs intermèdes très bien sentis autour du délit de faciès (non il n’y a pas la même prise de risque vis-à-vis de la police lorsqu’on transporte du CBD, selon que l’on soit blanc ou noir) et du fait de déposséder “les Blancs” du statut de “chef d’équipe” en les regroupant sous ce nom sans leur demander leur avis, celui qui, précisément, s’était fendu d’un “Salut les Blancs !” aux Molières 2019 dissèque les challenges de la vie à deux. Et à l’entendre, l’épreuve est de taille.
“C’est toi Ève, la seule femme sur Terre ?”
Au coeur du problème, un mythe – une “utopie”, peut-être – qui laisserait entendre qu’il y a une évidence dans la mise en ménage, comme si tout ça coulait de source. Sauf que non. “En couple, tu dois tout partager comme si c’était naturel – alors qu’on a jamais appris ça dans notre vie”, rappelle l’humoriste. Et d’ajouter, un rien méchant “le couple, c’est une fiche de poste, avec des attentes et des devoirs”. Du genre ? Eh bien, “faire croire à la personne avec laquelle tu es que c’est la seule personne qui t’attire”. Une “immense mascarade”, aux yeux du comique pour qui la vraie franchise consisterait à affirmer que, bien évidemment, l’on est attiré par d’autres personnes que l’être aimé. Mais qu’on la choisit quand même, et que c’est cette élection parmi la “concu” renouvelée chaque jour qui témoigne d’un amour sincère… Après tout “il y’a Beyoncé dans l’autre camp, quand même”, souligne l’humoriste.
Et à celle qui s’offusquerait sur le registre “Quoi ? Ça veut dire que je te suffit pas ?”, à l’humoriste de rétorquer : “Évidemment que tu me suffit pas. T’es qui cousine ? C’est toi Eve, la seule femme sur Terre ?”. Il faut dire qu’en matière d’exclusivité, Fary revient de loin puisqu’il admet sans détour avoir toujours été infidèle. La faute à un penchant carabiné pour le mensonge, qui ferait de lui une inévitable “mauvaise rencontre” amoureuse ? L’humoriste se dédouane en rappelant que les garçons sont soumis à une éducation genrée. On les biberonne aux histoires de pirates par-ci, de cosmonaute par-là ; on les abreuve de récits où nul jour n’est à l’image du précédent, et en couple, soudain, “il faut se contenter d’une seule histoire”.
On est à des kilomètres du modèle “ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants” plutôt associé au féminin, c’est certain. N’empêche. Malgré sa peur maladive de l’engagement, Fary, à la trentaine fraîchement dépassée, s’est rangé. Mais qu’on ne lui parle surtout pas d’enfant, ça l’angoisse trop. Surtout si ça tombe sur une fille – comment la réconforter le jour où elle se fera tromper, alors que lui-même a été multi-récidiviste en matière d’extraconjugalité ? Mission impossible. Et puis, personne ne l’a préparer à la parentalité, étant môme. “Que les hommes présents applaudissent si ils ont joué au papa, seul dans leur chambre, petits”. Silence radio. “Il y en a peut-être un et il a honte, parce qu’on lui a apprit à avoir honte”, balance-t-il. Le problème de l’éducation genrée, à nouveau.
Bref, tout est à apprendre – y comprit la communication avec l’autre sexe. L’affaire est si épineuse que l’espace d’un instant, l’humoriste se demande si ça ne serait pas plus simple avec un pote : “imagines ton gars sûr, c’est lui “bébé“, s’amuse-t-il. Une vanne, rien qu’une vanne. Sûr de son couple, Fary privilégie plutôt l’effort commun dans sa relation pour mieux se comprendre, l’un l’autre. La preuve : en clôture de spectacle, le voilà qui s’improvise prof de “français des sous-entendus”. Un cours d’un genre nouveau, tourné vers le décorticage savant des “formules pièges”. De quoi adoucir la fameuse “guerre des sexes” ? Fary à l’air d’y croire. Et nous avec lui.