C’est lui, le véritable magicien de la Terre du Milieu. Sans les prodiges de son imaginaire, pas de Mordor aux contrées escarpées, ni de bataille de la Ferté-au-Cor. Pas de Seigneur des Anneaux, de Hobbit ni, par extension spirituelle, d’Anneaux de Pouvoir. Bon. Mais qui, derrière l’imposante stature de l’œuvre, connaît le faiseur de monde qu’est J.R.R. Tolkien ? Pas grand monde, hein.
Heureusement, le documentaire Tolkien, des mots, des mondes est là pour pallier ces lacunes en offrant une plongée intime dans la biographie du romancier-phare, entre entretiens d’archives et reconstitution en live action. Tour d’horizon des infos qui éclairent un parcours créatif hors normes – et jettent une lumière nouvelle, sur la saga la plus épique qui soit.
1. Tolkien a écrit les premières lignes du Hobbit en… Corrigeant des exams’
Nous sommes au détour des années 1930. L’écrivain, qui est alors professeur de vieil anglais à l’université d’Oxford, suit paisiblement son train-train enseignant, quand soudain : “le déclic a eu lieu dans ma maison, à Northmoor Road (quartier résidentiel d’Oxford, Ndlr). J’avais une pile de copies d’examens en face de moi. Et corriger des copies l’été est une tâche – hélas – fastidieuse. Alors j’ai saisi un devoir auquel j’ai failli rajouter 5 points, car la page était blanche – magnifique ! Rien à relire ! Puis, sans raison, j’ai griffonné : “au fond d’un trou, vivait un hobbit””. La suite, ce sont les chapitres du livre pour enfant Le Hobbit qui la racontent.
2. Le romancier identifiait son mode de vie, et ses goûts, à ceux d’un hobbit…
Faut-il déceler une part de projection autobiographique, dans le personnage du paisible Bilbo ? C’est du moins ce que suggère cette lettre, où on lit : “Je suis en fait un Hobbit, en tout, sauf pour la taille (…). J’aime les jardins, les arbres et les terres cultivées sans machines ; je fume la pipe et j’aime la bonne nourriture simple j’aime les gilets décorés, et j’ose même les porter en cette morne époque. J’aime beaucoup les champignons ; j’ai un sens de l’humour très simple (…). Je me couche tard et me lève tard, lorsque cela est possible. Je ne voyage guère”. Du Bilbo tout craché – avant que Gandalf ne porte à la porte de sa hutte, bien sûr.
3. … Mais Tolkien n’a pas toujours été mené cette existence casanière – au contraire
Même si le romancier se plaisait à dépeindre son quotidien comme une vie ponctuée de plaisirs sans artifices, et articulée autour d’un travail studieux, le documentaire prouve que le parcours de Tolkien n’a rien d’un long fleuve tranquille. Né en Afrique du Sud en 1892, il quitte le pays à 3 ans. Son père, resté sur place pour des raisons professionnelles, mourra d’un rhumatisme infectieux en 1896, sans avoir pu revoir sa famille. Privé d’un parent dont il ne conservera nul souvenir, Tolkien passe son enfance à explorer les vertes prairies du hameau dans lequel il vit, au sud de Birmingham (si vous vous demandiez d’où vient son goût pour le bucolique, ne cherchez plus). Cette période enchantée bascule lorsque sa mère se voit couper les vivres, après que sa famille anglicane est appris sa conversion au catholicisme. La petite famille doit alors changer de vie.
Tolkien déménage en centre-ville, décroche une bourse, puis perd sa mère d’un diabète en 1904. À 12 ans, le voilà orphelin. Au cours de ses études, il tombe sous les charmes d’Edith Bratt, avec qui il cultivera une histoire tourmentée. Amour empêché par un précepteur, aimée promise à un autre… Contre vents et marées, ils célèbrent leur fiançailles en 1914, quelques mois avant que la première Guerre Mondiale n’éclate, et que Tolkien ne soit envoyé au front normand. Atteint de la fièvre des tranchées, il est rapatrié après avoir vu certains parmi ses plus proches amis tomber au combat. Considéré inapte au service, il va d’hôpital en hôpital jusqu’à l’Armistice. Puis s’engage dans un parcours universitaire qui le conduira, à terme, aux jours paisibles mentionnés dans sa lettre. Reste qu’on est loin de la vie “sans histoires” d’un habitant moyen du Comté.
4. Le Hobbit a été publié par hasard
Le récit des aventures de Bilbo était, à l’origine, un simple conte du soir gribouillé par Tolkien pour égayer ses enfants. Les années passant, son récit s’étoffe, mais l’auteur n’a aucun projet de publication sérieux. Alors qu’une révérende mère proche tombe malade, il lui transmet son texte. Histoire de la distraire, rien de plus. Seulement voilà. À l’occasion de ce “prêt” décisif, la quête du trésor jalousement gardé par Smog tombe, aussi, entre les mains d’une ancienne élève de Tolkien qui se trouvait alors être en poste chez l’éditeur George Allen & Unwin, qu’elle aura tôt fait de convaincre de lancer un premier tirage. Petit monde, petit monde. L’ouvrage paraît en 1937, et son succès pavera la voie à un certain Seigneur des Anneaux, dont le premier volume paraît, lui, en 1954.
5. À l’origine des mondes merveilleux était… L’amour des langues
Philologue de prodige, Tolkien aurait inventé ses premières langues aux alentours de 14 ans. Et selon Léo Carruthers, professeur émérite de la Sorbonne en études médiévales anglaise, c’est ce goût pour la structure et la sonorité des idiomes, plus que son appétence pour le folklore, qui aurait poussé Tolkien à accoucher de la Terre du Milieu.
“Aucune langue humaine n’est née dans le vide, pointe l’expert, comme Tolkien avait développé des langues qui n’existaient pas, il a voulu leur offrir une histoire, comme si elles étaient réelles. Dans son esprit, le quenya (qu’il avait imaginé dès 1915, ndlr) devait être passé par des phases de développement, liées à des rencontres entre plusieurs peuples. Des batailles, des exils. De sorte qu’on peut affirmer, avec une relative certitude, que l’histoire de la Terre du Milieu est avant tout l’histoire des personnes ayant parlé ces langues nouvelles (…). En ce sens, c’est la langue qui est aux racines de sa mythologie, de sa volonté de créer des récits”. Et quels récits.
Tolkien, des mots, des mondes, disponible sur Prime Video.