L’expérience est banale. Quelqu’un est en souffrance devant vous, et vous vous mettez intuitivement “à sa place”. Gestes, émotions… Tout vous parvient, par un mystérieux effet miroir. C’est précisément dans l’épaisseur de cette énigme que plonge Valeria Lumbroso, avec Entre Toi et Moi, l’Empathie. Un documentaire à la croisée des disciplines (psychologie, neurosciences…) pour mieux comprendre comment l’empathie, donc, affleure dès la petite enfance et se développe au creux de nos cerveaux. L’occasion pour la documentariste, aussi, d’apporter des éléments de réponse à l’éternelle question : qu’est-ce-qui différencie l’humain de l’animal ? Focus.
Question de survie
Tout se jouerait dès le berceau.“La meilleure manière de développer l”empathie chez l’enfant c’est de lui témoigner de l’empathie“, pose le psychiatre Serge Tisseron. “Dès qu’un parent s’occupe du bébé, il va accepter ou non la réciprocité. Il va rire quand le bébé rit, et se réjouir de ce que son bébé rit avec lui”. Grâce à ces “échos”, le nourrisson peut, dès 2 mois, engager des “conversations” à travers ses sourires volontaires.
Retrouve-t-on des mécaniques similaires dans le règne animal ? Selon Michael Tomasello, chercheur en psychologie comparative, ça ne fait pas l’ombre d’un doute : “l’empathie est un héritage cognitif commun à tous les mammifères”. Pour la simple et bonne raison qu’il s’agit d’un impératif de survie. Sans empathie, les animaux ne pourraient pas repérer les signaux de détresse de leur progéniture, par exemple.
Mais la portée de cette émotion n’est pas circonscrite au seul cercle de la filiation. Peggy Mason, professeur de neurobiologie, a prouvé que lorsqu’un rat était en situation de stress dû à un enfermement, ses congénères lui portaient secours. La preuve par la rescousse que le phénomène d’empathie s’étend instinctivement aux pairs.
L’empathie fonctionnerait-elle de la même manière, selon qu’on soit humains ou, mettons, singe ? Pas sûr. Primo nos lointains cousins n’auraient pas “d’attention conjointe”, c’est-à-dire qu’ils seraient incapables, par exemple, de partager un ébahissement auprès d’un pair. Secondo, les collaborations “chez l’homme sont non seulement axées sur la tâche à accomplir, mais réfléchie de manière à tenir compte de l’autre – raison pour laquelle notre espèce est capable d’œuvres morales”, pointe Serge Tisseron. Il existe donc un socle commun d’empathie entre le règne animal, mais avec des degrés de complexification variés, en fonction des espèces.
Les prodiges de la matière grise
D’où vient cette étonnante capacité à comprendre l’émotion d’autrui ? L’une des pistes est celle des “neurones miroirs”.“Ce sont des neurones qui s’activent aussi bien lorsqu’on exécute une action, ou qu’on observe quelqu’un d’autre l’exécuter”, explique le physiologiste Vitorrio Gallese. Ces neurones spécifiques, petits faiseurs de miracles, sont au cœur du processus d’apprentissage ; ils permettent d’imiter spontanément, et “de l’intérieur”, les phénomènes remarqués. Y comprit ceux liés à l’émotion, observée tant sur les visages de personnages de dessins animés, que dans les traits de proches.
Cet apprentissage serait donc étroitement lié au milieu de l’enfance. La chercheuse en neurosciences Martina Ardizzi en fait la démonstration, à travers une expérience menée sur un groupe d’enfants des rues. Ces victimes de carences affectives n’arrivent pas à distinguer, sur l’expression faciale d’autrui, la différence entre peur, tristesse et colère – en fait, il ne reconnaissent que la colère. “L’émotion qui, du point de vue de leur expérience traumatique, est la plus fonctionnelle”, pointe la chercheuse.
Tout porte donc à croire que l’empathie est “apprise”. Ce qui n’empêche pas d’étudier l’influence du facteur biologique. Angela Sirigu, chercheuse au CNRS, a par exemple démontré qu’en administrant de l’ocytocine (hormone du lien) à une personne autiste (neuro-divergence impliquant précisément un déficit de cette molécule), celle-ci avait une meilleure compréhension de son environnement social. La cause, docteur ?
Il existe une partie du cerveau qui fonctionne comme un système d’alerte, en cas de stress : l’amygdale. Chez les autistes, cette zone est stimulée durant les interactions sociales – sauf lorsque de l’ocytocine a été incorporée. De là à conclure que l’hormone puisse avoir un lien direct avec le développement de l’empathie ? Disons que cette émotion, liant de nos civilisations autant que rouage nécessaire à la perpétuation des espèces, semble n’avoir pas encore révélé tous ses secrets.