Mécanophile. Nom masculin désignant “un attrait, parfois sexuel, pour les machines, notamment celles qui sont des véhicules”, dixit le Wiktionnary. Le père de la saga Mad Max mangerait-il de ce pain-ci ? La question peut se poser légitimement, au regard du soin accordé à tout ce qui est équipé, de près ou de loin, d’un moteur dans les différents opus de la franchise – les deux derniers, plus spécifiquement. Les bolides y sont magnifiés, sublimés – certains sont mêmes filmés comme des personnages à part entière (qu’on songe au semi-remorque aux 617 chevaux d’Immortan Joe, dans Fury Road et Furiosa). C’est simple : la nuée de 2-4-8 roues sont (presque) de chaque image, de chaque cascade. Mais pourquoi tant de vroum-vroum, George ? On fait le point, sans calage.
Un cinéma-thérapie ?
Aux racines de la fascination du réalisateur australien pour les bécannes, tout-terrain, et autres moyens de locomotions, il y a peut-être moins une tendresse inée qu’un trauma à résoudre. La chose est peu connue mais, avant de tourner des blockbusters à la pelle, George Miller travaillait au sein d’un hôpital de Sidney, comme médecin urgentiste. Le réalisateur a confié être intervenu sur des accidentés de la route, et été témoin de nombreux crash durant sa jeunesse passée dans la région rurale du Queensland. Certains d’entre eux ayant précipité la mort de trois de ses amis, alors qu’il était ado.
Ces expériences extrêmes auraient-elles poussé notre homme à se lancer dans un cinéma-thérapie (le Mad Max 1979 est son premier long-métrage) ? Comme si mettre en scène la rencontre-catastrophe de véhicules pouvait permettre de “reprendre le contrôle” sur des évènements traumatiques ? L’affirmer serait verser dans une psychologie de comptoir de mauvais aloi – même si la piste n’est sans doute pas tout à fait stérile…
À l’origine de Mad Max : en rade de pétrole, des australiens se mettent sur la tronche
Changeons notre fusil d’épaule, en laissant de côté le parcours biographique de Miller, pour plonger notre regard vers le scénario même du premier volet Mad Max. En 2006 son auteur, le journaliste McCausland, avait confié au journal The Courier-Mail que pour écrire ledit script, il s’était largement inspiré du comportement de ses concitoyens australiens, lors de la crise pétrolière de 1973 :
“Il y avait plusieurs signes du genre d’actes désespérés jusqu’où les personnes serait prêts à aller, pour avoir un peu de mobilité. Les chocs pétroliers qui ont paralysés nos pompes ont révélé la férocité avec laquelle les Australiens pouvaient défendre leur droit à remplir leur bagnole. Je me souviens de longues queues aux stations – et si quelqu’un tentait de gruger, une violence crue s’abattait immédiatement sur lui… George et moi avons écris ce script en nous basant sur l’hypothèse selon laquelle les gens feraient à peu près n’importe quoi pour que leurs véhicules continuent à rouler, dans le cas où, dans notre futur, les nations n’auraient pas assez investis dans les énergies alternatives pour éviter la catastrophe”
Concrètement, le duo Miller-McCausland a donc imaginé un futur post-apocalyptique où, faute d’avoir su surmonter la “crise écologique”, l’humanité en serait réduite à se déchirer pour… quelques barils d’essence. Revenge movie aux tonalités éco-responsables, Furiosa illustre cette vision dystopique, en mettant en perspective un contraste criant. D’un côté une “terre verte” pacifiée (et perdue…) où a grandi Furiosia herself, dominée par une communauté féminine sédentarisée, et où tout semble pousser en abondance, façon jardin d’Eden. Et, de l’autre… des clans majoritairement mâles, avalant kilomètres sur kilomètres, afin de s’écharper pour la moindre goutte de pétrole.
Faire des bagnoles des main caracters, une caution utile pour faire exploser le budget
De là conclure qu’avec Furiosa et Fury Road, George Miller a voulu tisser une fable écolo, où la gent masculine, un brin stéréotypée, nous aurait collectivement conduit à notre perte par son goût immodéré pour les gros-camion-qui-polluent-qui-consomment (rappel : l’un de bastion de leur clan s’appelle littéralement Pétroville) ? Il y a un pas qu’on serait tenté de franchir. Avant d’aller encore plus loin : à mesure que la franchise Mad Max évolue dans le temps, elle devient de plus en plus anti-masculiniste. Clairement.
En un sens, la citadelle d’Immortan Joe pourrait être interprétée comme le tableau – mi-moqueur, mi-sérieux – du monde rêvé des suprématistes mâles. Les femmes y sont réduites en esclavage sexuel en raison de leur genre, tandis que les hommes ne jurent plus que par une mort pseudo-glorieuse. “Witness me” (“sois mon témoin”) beuglent les war boys, avant de se trucider en espérant atteindre le Valhalla. L’unique passion de ces cerveaux ravagés ? Leurs caisses.
Un goût poussé jusqu’à l’absurde – et stylisé à l’extrême par George Miller. Car oui, propulser les engins motorisés au rang de protagonistes principaux offre l’occasion de tourner des films de très, très, grand spectacle. D’évidence, notre réal’ prend un plaisir de gosse à chorégraphier les cascades des crash, à capturer le rugissement des moteurs. Après tout, avec ses accélérations, ses carambolages, ses crissements de pneus enragés, la bagnole a tout de l’allié idéal, pour bâtir un action movie pur jus. Alors, au fond, qu’importe la raison pour laquelle Mad Max met autant ses bagnoles sous le feu des projecteurs.
L’important c’est que nous, spectateurs, on en prenne plein la vue. Go, Miller, go.