Celui-là, il se l’est juré, ça sera son dernier coup. Afin d’accomplir l’Ultime Razzia, Johnny Clay, principal protagoniste du film, réuni une équipe de loubards du dimanche pour expédier un casse juteux, sur fond de course hippique. La mise en œuvre de cette machination ultra, ultra chronométrée, tisse la trame du 3e long-métrage et “premier film hollywoodien” de celui qui, à la sortie de l’œuvre en 1956, n’était pas encore “le” Stanley Kubrick.
Polar injustement oublié de la filmographie du réalisateur, ce petit bijou de tension a définitivement propulsé le futur auteur de Orange Mécanique au rang des cinéastes qui comptent. L’Ultime Razzia fait irruption sur Prime vidéo, et c’est un rendez-vous à ne pas manquer.
En route vers la gloire
Pour Kubrick, il y a un avant et un après L’Ultime Razzia (The Killing, en version originale). Avant : la galère des débuts, rythmée par l’auto-production de longs. Il y a d’abord l’anti-militariste Fear and Desire (1953), dont la légende veut que Kubrick, qui le considérait tout au plus comme “un film amateur maladroit”, ait été renié par son géniteur – au point de voir sa bobine originale détruire, de ses mains. Bon. Arrive ensuite un second long, cette fois imprégné des codes du film noir, Le Baiser du tueur (1955). Mineurs, ces coup d’essais n’en attisent pas moins l’intérêt de la surpuissante société United Artists.
C’est cette compagnie mythique, fondée par des pionniers d’Hollywood (dont Charlie Chaplin), qui sera chargée de distribuer L’Ultime Razzia. Pour la première fois, Kubrick dispose d’un budget conséquent, d’une collaboration avec un chef opérateur, d’un scénario basé sur une adaptation (ce qui sera systématiquement le cas, par le suite). Ça fait beaucoup de “premières fois”. Pour quel résultat ?
Un grain de sable, et tout déraille
Avec des moyens inédits entre les mains, Kubrick accouche d’un film ambiguë, tout à la fois innovant et classique. Côté “tradit” : l’esthétique film noir, et la morale douteuse de nombreux protagonistes, typique des polars de l’époque. Concernant les nouveautés qui détonnent, citons d’abord le choix d’élaborer un récit disloqué. Sorte de patchwork qui alterne les points de vue, joue du flashback et livre des éléments de récit par brides “façon puzzle”. Certains diront même que cette dimension “fragmentaire” du déroulé de l’intrigue inspirera un certain… Quentin Tarantino, au moment de cogiter au scénario du film qui fera de lui l’étoile pop d’Hollywood : Reservoir Dogs. Chacun sera juge.
Bref, l’intrigue est un savant assemblage d’éléments éparses. Quelque chose de minutieux sur la forme, qui trouve son écho dans la “méticulosité” du casse planifié par l’anti-héros du film, Johnny Clay. Afin de dérober les recettes d’une course hippique qui pèse plusieurs millions, celui qui n’aspire qu’à se ranger prépare un plan tiré au cordeau. Chacun son rôle, chacun sa place – et pas question d’avoir ne serait-ce qu’une minute de retard, sinon c’est tout la machine qui se grippera. Ce qui finira par arriver, comme fatalement. La faute aux aléas du sort, ces grains de sables qui bouleversent la trajectoire des destinées.
Filmé à la loupe, l’échec de ce braquage anti-spectaculaire est imprégné d’un pessimisme annonciateur. Cette fatalité, décidément plus forte que les volontés individuelles, qui foudroiera les braqueurs du film, le spectateur la retrouvera ultérieurement chez Kubrick, quoique sous d’autres ciels que l’Amérique des années 50. Dont acte le tableau de l’injustice martiale que brosse les Sentiers de la Gloire, par exemple. De là en voir dans L’Ultime Razzia une œuvre programmatique, sorte de lieu d’incubation de la filmographie postérieure du cinéaste ? Pourquoi pas.