Au delà de la révolution matérielle, les concepteurs de jeux doivent désormais apprendre à apprivoiser ce nouveau canal de divertissement. Sens de l’immersion, redéfinition du multi-joueurs ou encore sens de la narration avec l’arrivée des casques de réalité à destination du grand public… Toute une grammaire ludique doit être inventée. Explications.
C’est désormais une évidence matérielle. Après plusieurs années d’attente, les casques de réalité virtuelle sont désormais accessibles par tout un chacun. Héritière du cinéma et du jeu vidéo, la VR passe donc du statut de curiosité à celui de réalité matérielle au prix accessible.
Cependant, les plus grands défis créatifs de cette technologie restent à venir. Pour se démocratiser, les casques vont devoir conquérir et surtout éduquer tout un public. Les développeurs ne sont pas en reste, la VR est pour eux un terrain inexploré, presque vierge, où tout ou presque, reste encore à faire.
Réussir à tromper le corps
Le premier défi de la réalité virtuelle est d’ordre…biologique. Placer notre esprit dans un environnement virtuel est un mensonge pour nos sens. Pour éviter la sensation de nausée, les créateurs de jeu ont dû faire marcher leurs méninges.
Petit rappel de cours de sciences. La sensation désagréable du « mal de mer » vient d’une contradiction biologique. Une dissonance entre les informations perçues par nos yeux et nos oreilles. En effet, notre oreille se compose en partie d’un labyrinthe osseux et d’un labyrinthe membraneux à l’intérieur desquelles se trouvent deux liquides : la périlymphe et l’endolymphe.
Ces deux liquides conduisent les forces mécaniques de notre corps : vibrations sonores ou conséquences des changements de position de la tête et de l’accélération.
Sur un bateau, la vue donne une impression de calme, puisque une personne est fixe dessus, le repère visuel est stable. Mais au même moment l’oreille interne signale des mouvements, le bateau tangue, le repère d’équilibre est instable.
De cette contradiction naît une sensation de nausée et de malaise. Pour la VR, c’est le même principe, nos yeux enregistrent les indications visuelles du monde virtuel mais nos oreilles continuent rigoureusement d’interpréter les mouvements réels du joueur.
Prenons un exemple concret avec le jeu Eagle Flight. Dans cette simulation de vol, on incarne un aigle qui explore Paris. Vols en rase-mottes entre les immeubles Haussmanniens, montée verticale de la Tour Eiffel ou encore descente en pique sur la cathédrale Notre-Dame, tout est possible. On se dirige ici uniquement par le regard, il suffit de tourner la tête pour zigzaguer.
Si le jeu est enivrant et la sensation de liberté totale, les développeurs du studio Ubisoft ont dû trouver quelques astuces pour ne pas donner des hauts le cœur aux joueurs. Interrogé par le site Le Monde, Olivier Palmieri, chef de projet sur le jeu explique ses astuces. « Pour ne pas avoir de nausées, le joueur a besoin de voir son corps, et il y a un élément visuel que l’on a toujours dans le champ de vision même si on ne le remarque plus : le nez. Ici, le bec le remplace mais a la même fonction pour se repérer. »
Outre cette pirouette, le jeu se charge de diminuer la sensation de vitesse par un système dynamique qui se met en route lors des virages les plus rapides et les plus secs.
« Des masques viennent cacher la vision périphérique lorsque nécessaire, à droite, à gauche, en haut et en bas, pour diminuer la sensation de vitesse. On peut ainsi avoir beaucoup de mouvements sans que ce soit désagréable pour les gens. »
Résultat, aucune sensation désagréable pour le corps. Eagle Flight est un exemple parmi d’autres. Les développeurs doivent jongler avec ce nouveau paramètre du confort. Et rassurez-vous, ils y arrivent pour le moment très bien.
Une nouvelle grammaire
Une question bête mais pas méchante peut régulièrement revenir dans la bouche des personnes n’ayant pas encore eu la chance de tester un casque de VR. Comment donner une impression de mouvement alors que l’expérience de jeu reste statique.
Il est utile de rappeler que les casques de VR ne nécessitent pas d’une aire de jeu conséquente. Assis confortablement dans son Chesterfield, on peut dévaler des kilomètres d’asphalte ou des années lumières entre les planètes.
Le mouvement de notre personnage s’effectue soit par notre regard, soit par la manette, soit par l’utilisation de périphérique de jeux. Comme par exemple les PlayStation Moove, deux manettes qui rendent la sensation d’immersion encore plus impressionnante.
Chausser un casque redéfinit notre rapport à l’espace, l’objet nous donne la même vision qu’un humain, 360° autour de soi, et sans bouger, 230° net avec la périphérie. Le joueur devient totalement omniscient, il n’est plus dirigé de manière linéaire. De ce fait, pour ne pas le perdre chaque jeu doit jouer sur la spatialisation du son pour attirer le regard au bon endroit de la scène.
Par le biais d’une explosion, d’un son de voix ou d’une porte qui claque. La manière de raconter l’histoire doit être totalement repensée. Les créateurs de jeux autant que les game designers doivent redéfinir leur mappemonde créative.
Et s’il y a bien un genre de jeu qui risque de totalement devoir réinventer sa grammaire présentielle, ce sont les jeux d’horreur. Le prochain jeu de zombies Resident Evil VII qui sort en janvier 2017 pourra par exemple se vivre en réalité virtuelle.
La position des ennemis qui vous attaquent, les sursauts, l’intelligence artificielle qui doit reconnaitre votre manière de fuir, tout doit être anticipé par les développeurs pour que l’horreur ne perde pas de son instantanéité et donc de son pouvoir d’épouvante. La réalité virtuelle nécessite une nouvelle forme de narration pour pouvoir se déployer avec force.
Le multi-joueurs en VR : un gameplay asymétrique
Pour le moment, la plupart des expériences VR sont à vivre en solo. Cependant, l’aspect multi-joueurs est essentiel notamment pour les jeux de tir ou les jeux de voitures. Car encore une fois les développeurs ont dû s’adapter à une contrainte. Par exemple, on ne peut brancher qu’un seul casque VR sur sa PlayStation 4. Rassurez-vous, le multi-joueurs n’est pas mort, il se modifie, avec la VR on parle alors d’un nouveau genre : le gameplay asymétrique.
Le joueur principal possède le casque et des PlayStation Moove, tandis que son acolyte possède une manette et peut voir les déplacements du joueur principal sur la télévision. Des informations peuvent être visibles par l’un et non par l’autre. Avec le Playroom VR, Sony est le premier a véritablement repenser le multi-joueurs en proposant un gameplay à deux vitesses.
Le Playroom est un ensemble de mini-jeux pour la famille qui a pour principal attrait de permettre à tous de s’initier aux joies de la VR facilement. Le porteur du casque joue ici un rôle différent de ses semblables et dispose d’une vision totalement exclusive du gameplay, différent de celui de ses amis autour de lui.
L’exemple du jeu Keep Talking Team montre bien que le multi-joueurs transcende désormais la coopération sur canapé.
Dans ce jeu, le porteur du casque voit en face de lui une bombe qu’il doit désamorcer. Ses amis ont de leurs côtés un manuel pour parvenir à le faire sans tout faire exploser. Le porteur doit décrire les fils et dispositifs en place sur son modèle de bombe et les autres joueurs doivent le guider grâce au manuel. Au moindre faux pas, c’est l’explosion de rire
Cette nouvelle forme de jeux à plusieurs est du pain béni pour la créativité des développeurs qui risquent d’ici quelques mois de nous proposer des concepts encore plus bluffants.