Si tout le monde connait le nom de Médecins Sans Frontières (MSF), il est parfois difficile de mettre un visage sur un nom. Dans le cadre de la campagne de crowdfunding de l’ONG, nous avons rencontré trois de ses acteurs de terrain. Quels sont les raisons de leur engagement ? Pourquoi ont-ils besoin de nos dons ? Entretiens.
Charlotte, 27 ans, attachée de presse
“Donner, ne serait-ce qu’un petit peu, c’est permettre à ce vieux monsieur de pouvoir avoir son injection d’insuline, c’est permettre à cette femme enceinte d’accoucher dans une structure propre et sécurisée, c’est permettre à ce jeune homme d’avoir accès à ses antirétroviraux…
Vous, quand vous avez une appendicite, vous allez à l’hôpital. C’est en partie remboursé par la sécu et le reste par votre mutuelle ou celle de vos parents. Vous êtes pris en charge dans un lit où les draps sont propres, où les soignants sont qualifiés. Et bien donner à MSF, c’est permettre à des gens qui n’ont pas tout ça d’y avoir accès“
Les mots de Charlotte sont durs, ils sont crus même, mais ils révèlent bien les conditions terribles dans lesquelles vivent les populations prises en charge par MSF sur le terrain. En creux, ils soulignent aussi l’ampleur du boulot effectué par l’ONG et les immenses besoins qui en découlent.
Et si les mots de Charlotte ont autant d’impact, c’est parce que la communication, c’est son truc. A tout juste 27 ans, cette journaliste de formation est désormais attachée de presse au siège parisien de MSF où elle utilise ses talents pour faire connaître l’ONG et ses valeurs d’indépendance et de neutralité.
“Même si MSF a généralement une bonne image, c’est souvent un gros challenge de faire comprendre comment on travaille et le fait que nous sommes neutres, impartiaux et indépendants.”
En images, en mots ou en sons, à travers une caméra, un appareil photo ou auprès des populations, Charlotte s’attelle donc chaque jour à cette mission difficile mais qui, pour elle, est une évidence. Et qu’importe où. Après avoir vécu au Liban, où elle a découvert sa vocation humanitaire, elle a notamment travaillé en Guinée Conakry pendant l’épidémie d’Ebola et en République Centrafricaine.
“J’ai travaillé dans plusieurs ONG avant de rejoindre MSF mais pour moi ça a toujours été un peu un rêve. Dès le début, je voulais bosser pour eux, faire partie de cette grande famille et surtout, même si ça peut paraître un peu quiche, donner un sens à mon boulot.”
Et du sens, il en a puisque l’engagement de MSF consistant à soigner toutes les victimes de conflits, quel que soit leur bord, conduit parfois ses volontaires au plus près du danger. Si bien que, rien qu’en 2016, deux de ses hôpitaux ont été bombardés. Mais il en faudrait plus pour les décourager. La preuve avec cette campagne de crowdfunding visant à récolter un million d’euros de fonds privés, pour ne jamais perdre l’indépendance qui fait l’ADN de MSF.
Ricardo, 30 ans, kiné
Ces terrains dangereux, Ricardo les connaît bien. Passionné par les bienfaits rapides de la traumatologie aiguë, ce kiné de 30 ans a rejoint le monde de l’humanitaire peu de temps après avoir terminé ses études. Ce sont ses voyages et ce qu’il y a découvert qui l’en ont convaincu.
Et depuis son arrivée dans cet univers, Ricardo n’a pas chômé.
“Aujourd’hui, je suis coordinateur de projets d’urgence. Le genre de missions et les pays dépendent des situations mais en général, il s’agit de catastrophes naturelles ou humaines de grande ampleur demandant d’agir très vite car le système de santé du pays risque de s’effondrer.”
Ses missions l’ont en effet conduit en Syrie, au Yémen, en Iraq ou en République démocratique du Congo. Des zones aux problématiques complexes, tant sur le sanitaire qu’humain.
“Les moments les plus intenses pour moi sont indéniablement les rencontres avec les autorités et les groupes armés lorsqu’on doit régler les problèmes suite à des incidents sécuritaires, des menaces, des tirs ou encore d’une intrusion dans notre hôpital. C’est pour ça que souvent, le matin après avoir réuni les équipes pour un point, je rends visite à mes contacts pour mon travail de “diplomate” et m’assurer qu’on puisse continuer à apporter l’aide médicale gratuite en toute sécurité”.
Pour autant, Ricardo refuse le qualificatif de héros que l’on attribue volontiers aux humanitaires en zone difficile. Lui qui, avant d’y travailler, voyait MSF comme “un troupeau de hippies avec des idéaux bien solides et qui voyageaient gratos partout où les gens souffraient et changeaient le monde” a ravisé son jugement. Aujourd’hui, il considère que sa mission consiste simplement à faire le maximum pour les populations en souffrance. “Comme pour cette gamine”, ajoute-t-il.
Cette gamine dont parle Ricardo, c’est celle qu’ont rencontrée tous les humanitaires. Celle qui vous touche plus que les autres et que vous n’oublierez jamais. Pour lui, c’était une petite syrienne.
“Elle était gravement brûlée et en tant que kiné, je faisais tout mon possible pour l’aider et faire en sorte que son état s’améliore… mais elle me haïssait profondément car elle associait mon arrivée au moment de la douleur. Elle pleurait chaque fois qu’elle me voyait. Un jour, elle n’était vraiment pas bien, elle m’a pris par la main et m’a embrassé. La même nuit, elle est morte. Je me suis pris une grande claque et j’ai compris que tout le monde compte, qu’elle n’était pas un chiffre parmi d’autres perdu dans un rapport.
Ce jour-là, j’ai aussi appris que sans recul, on ne peut pas faire ce métier.”
Pour Ricardo, le job n’est donc pas fait pour tout le monde. Mais indéniablement, chacun peut aider, peut donner, même un peu. D’autant que MSF et ses amis artistes, propose des récompenses introuvables ailleurs contre un don.
“Un don peut suffire à lancer toute la machine qui permettra de sauver les vies des personnes qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment. Car nous, grâce à ce don, on s’arrangera pour être à ce moment-là, à cet endroit précis”.
Linda, 28 ans, coordinatrice RH
Il y a encore quelques années, Linda n’aurait d’ailleurs pas cru que sa vie la mènerait à Djouba ou Bangui. Pourtant, à aujourd’hui 28 ans, cette coordinatrice RH a déjà été envoyée au Soudan du Sud, en Jordanie, en Guinée Conakry et en République Centrafricaine.
L’une des leçons que cette diplômée de l’Ecole Supérieure de Commerce de Toulouse et ex-employée d’un cabinet de conseil, y a appris, c’est en effet que MSF n’est pas qu’une affaire de médecins. Des logisticiens, des chefs de projets, des soignants non-médecins, des recruteurs, tous les profils sont importants.
“Bien sûr, la majeure partie de nos activités sont médicales mais pas seulement. En fonction du contexte, les besoins urgents peuvent être aussi logistiques ou RH.”
Et puis aujourd’hui, je sais que la réussite des projets de cette asso passe avant tout par les équipes nationales sur le terrain.”
Car l’une des missions principales de MSF est aussi de transmettre à des équipes nationales, de laisser du personnel local compétent et des conditions sanitaires décentes en partant. Car même avec tous les dons du monde, aucune opération humanitaire ne peut être éternelle.
Heureusement, dans ces pays déchirés par la guerre ou la maladie, les équipes de MSF ne sont pas seules. Les populations, aussi dures soient les épreuves qu’elles traversent, travaillent elles aussi à la reconstruction de conditions sanitaires décentes et à la restauration de l’espoir. Comme ce médecin syrien recruté par Linda dans un camp de réfugiés en Jordanie.
“Il avait perdu un de ces enfants quelques mois auparavant en Syrie. Il a donc décidé de tout quitter avec sa femme et ses autres enfants pour venir dans ce camp et espérer se sentir en sécurité. J’ai été marqué par sa soif de vivre et son humilité. J’ai un profond respect pour toutes ces personnes qui ont fui le pays de toute leur vie et qui doivent tout recommencer. Et qui même avec toutes ces épreuves vous accueillent avec le sourire. Cela fait déjà 3 ans mais je ne les oublierai jamais.”
Comme sur les souvenirs de Linda, les années passent sur la mission statutaire de MSF sans l’altérer. Et au vu de l’état du monde, elle pourrait d’ailleurs ne jamais se terminer complètement. Mais pour que son action se maintienne, c’est la solidarité qui doit perdurer.