Pour se reconstruire après un traumatisme, cet Américain a inventé un univers glamour et violent où les femmes règnent en maître et cassent du nazi. Récit.
Le 8 avril 2000, à la sortie de The Anchorage, un bar de Kingston, dans l’État de New York, cinq hommes décident d’en attaquer un autre, dans le dos et le frappent jusqu’à ce qu’il ne respire plus. Tous reconnus coupables, seuls trois d’entre eux ont fait de la prison pour cet acte qui restera dans les mémoires pour sa gratuité insoutenable. Et pour cause, le seul crime de Mark Hogancamp, leur victime, est de leur avoir raconté qu’il aime se travestir. Laissé pour mort par ses tortionnaires, il se réveillera après neuf jours de coma.
À l’occasion de la sortie du film Bienvenue à Marwen, le 2 janvier, nous revenons sur son histoire.
La violence après la violence
© 2018 Universal Studios
À son réveil, Mark est amnésique. Son dernier souvenir remonte à 1984, époque à laquelle il servait dans la Navy, la marine américaine. Son mariage, ses amis, ses habitudes, la caravane dans laquelle il habite, tout a disparu de sa mémoire. Y compris son alcoolisme et son goût du travestissement. Mais, s’il a préféré se tenir à distance du premier en ne touchant plus une goutte d’alcool, le second lui est revenu à l’instant où il a remis une paire de talons hauts pour la première fois.
Toutefois, le passage à tabac dont il a été victime ne lui a pas volé que ses souvenirs, il lui a aussi pris son indépendance. Le cerveau de Mark a été tellement abîmé par la pluie de coups de pied qu’il a reçue qu’il ne sait plus rien faire, ni marcher ni se redresser seul. Quant à ses mains, elles tremblent tellement qu’il ne peut réaliser la moindre tâche. Même pas dessiner, sa grande passion. Mark part donc pour une longue année de rééducation pour tout réapprendre. Jusqu’à ce que son assurance le lâche et le laisse seul avec ses progrès et quelques amis pour l’aider. À ce moment-là, c’est la haine qui prend le dessus. Au point qu’il confie au Guardian, des années plus tard, qu’il a eu l’impression d’avoir été exclu de la grande tribu des humains et leur voue à tous une haine immense.
De la haine à la reconstruction
Mais la haine n’est pas un sentiment naturel pour Mark et il se désintéresse un peu de ce qui l’entoure. Car un univers miniature est en train de se créer dans sa tête, celui de Marwencol, une petite ville belge imaginaire où un groupe de femmes secoure un aviateur américain et résiste à l’envahisseur nazi. Et puisqu’il ne peut plus dessiner, c’est avec de petites poupées qu’il crée les compositions qui construisent son histoire, seul et caché de tous sur le bout de terrain où est installée sa caravane.
Peu à peu, les scénettes se multiplient et l’histoire s’enrichit. Les résistantes ultra badass et Captain Hogie, leur petit protégé figurant le personnage de Mark, affrontent les cruels nazis des centaines de fois, figés pour l’éternité par les photos de leur créateur. Comme le dira ce dernier, ils y tuent ses agresseurs encore et encore, ils font ce que Mark ne pourrait pas faire dans la vie et ce mini-parc devient une véritable thérapie. D’ailleurs, certaines scènes ressemblent à s’y méprendre à l’agression de Mark, bien qu’il n’en ait toujours pas le moindre souvenir.
Un destin hollywoodien
© 2018 Universal Studios
Aussi cinématographique soit cette thérapie, Mark ne l’a conçue que pour lui, que pour faire sortir la douleur et conjurer sa souffrance à l’infini. C’est pourquoi, il n’en a rien montré à personne jusqu’à ce qu’un de ses voisins le voit déplacer et photographier une jeep miniature. Lui-même photographe, l’homme propose à Mark de lui montrer son travail. Saisi par le talent de mise en scène et de scénographie qu’il y trouve, il fait rapidement publier les clichés par un magazine et c’est ainsi que tout commence.
En même temps que Marwencol, le monde découvre donc cette histoire à la fois ordinaire et terrible. En naîtront des publications, des articles et, en 2010, un documentaire. Et ça ne s’arrête pas là puisque le 2 janvier 2019 sortira Bienvenue à Marwen, un film d’une immense sensibilité sur l’histoire de Mark et de sa reconstruction. Mieux encore, c’est Steve Carell, connu pour son jeu à la fois sensible, drôle et écorché, qui y interprète le créateur de Marwencol. Le vrai Mark Hogancamp préfère quant à lui rester dans l’ombre et garder secrète la localisation exacte de son monde. Car celui-ci reste et restera son échappatoire, un monde où lui seul préside à son destin.