Vous l’avez peut-être déjà vue de loin sans trop savoir de quoi il retournait. La trop confidentielle Blindspotting, créée par Daveed Diggs et Rafael Casal, (diffusée sur StarzPlay via Canal+ et Amazon Prime en France), fait suite au film éponyme de Carlos Lopez Estrada sorti en 2018, lui-même tiré de la pièce de théâtre écrite par le duo, que l’on retrouve aussi devant la caméra.
À voir aussi sur Konbini
Le petit film indé devenu grand suit le parcours de Collin qui tente de passer ses derniers jours de liberté conditionnelle sans heurt. Dans ses pérégrinations, il est accompagné de son meilleur ami Miles, qui ne semble pas prendre conscience des privilèges dont il jouit : le fait d’être blanc ne le confronte pas aux mêmes problèmes que son ami face à la police. Ainsi, il met constamment son entourage en danger. Le film avait réussi le pari d’explorer les rapports de domination de classe et de race à travers ces deux amis, qui assistent, déboussolés, à la gentrification visible que subit Oakland.
La série reprend les mêmes codes, mais se concentre principalement sur Ashley, la petite amie de Miles. Elle doit déménager chez la mère et la sœur de ce dernier quand celui-ci se retrouve en prison pour une durée indéterminée. Cette cohabitation imposée va donner lieu à une sororité naturelle où ces femmes très différentes se soutiennent malgré tout. Que ce soit la mère, Rainey, interprétée par la légende Helen Hunt (Dingue de toi) Janelle ou Trish, ces personnages satellites ne sont pas en reste et apportent leur lot de nuances pour évoquer la sexualité, l’appropriation culturelle, le colorisme ou la santé mentale.
En huit épisodes, la série ne perd rien de son originalité. La touche artistique très assumée, où se côtoient danse et spoken word (poésie parlée), offre bien plus qu’un propos politique aux spectateur·rice·s : l’émotion est au cœur du récit.
Liberté sous conditions
© StarzPlay
C’est d’ailleurs à travers le personnage d’Earl, interprété par le fabuleux Benjamin Earl Turner, que la série prend tout son sens. Ce dernier est en liberté conditionnelle avec un bracelet électronique au pied, et tente de s’en sortir après une expérience choquante de la prison. Il a été condamné pour usage de cannabis mais quand il en sort, ce même cannabis est devenu… légal, investi par de jeunes entrepreneurs blancs et riches.
Tel une métaphore, il se promène avec une corde qui représente la distance autorisée pour sortir de chez lui (malheureusement trop courte pour s’acheter un burrito), mais aussi le poids social d’une injustice systémique. Il devient le visage de tous ces jeunes noirs emprisonnés pour un bout de cannabis, parfois récidivistes, souvent traumatisés à vie, mais qui conservent une humanité qu’on ne leur autorise plus.
À travers tous ces paradoxes et un humour bien amené, Earl continue le travail de déconstruction autour de la masculinité noire, quand les personnages féminins revendiquent une indépendance décentrée des hommes. Le personnage interprété par Rafael Casal est en retrait, quant à Daveed Diggs, il n’est plus à l’écran.
Parmi toutes ces histoires qui s’entremêlent et s’entrechoquent, c’est à Oakland que les scénaristes et réalisateurs rendent particulièrement hommage. Ses rues, ses habitants, ses étrangetés, ses plages et légendes font de la ville ce qu’elle est, pourtant longtemps ignorée du cinéma au profit de San Francisco.
Avec Ryan Coogler (Fruitvale Station, Black Panther), Joe Talbot (The Last Black Man in San Francisco) et d’autres, c’est tout un écosystème de cinéastes loin de la Silicon Valley qui est en train de révolutionner l’industrie. Ces créateurs et créatrices nous racontent des histoires inédites, où poésie et politique n’auront jamais autant fait bon ménage.