Dans l’histoire des séries, 13 Reasons Why pourrait faire office de cas d’école. Ou comment une œuvre engagée et nécessaire a été ruinée par la pression des algorithmes et un business guidé par le profit plutôt que par l’art. Adaptée du roman éponyme de Brian Yorkey, la série ado de Netflix se suffisait à elle-même avec sa première saison parlant de santé mentale, de harcèlement scolaire, de consentement. Des thématiques fortes qui se devaient d’être au cœur de débats. Puis vint la saison 2, ainsi que la 3 et maintenant la 4. Une dégringolade navrante, aggravée par une dernière salve franchement consternante.
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Plus que jamais, cette quatrième saison est placée sous le signe de la culpabilité. En effet, Clay, Jessica et les autres doivent apprendre à vivre avec un secret commun : ce n’est pas Monty qui a tué Bryce, mais bel et bien Alex après l’avoir poussé dans l’eau glacée d’un geste impulsif. Mais les choses se compliquent alors qu’un individu anonyme semble prêt à tout pour les faire avouer. Plus que les autres, Clay sombre dans la paranoïa et comprend qu’il va vite falloir agir avant qu’il ne soit trop tard.
Dans le sillage d’une saison 3 déjà pas brillante, 13 Reasons Why aurait dû faire tout son possible pour accroître sa qualité. Au lieu de ça, la série conserve un niveau d’écriture abyssal et continue même de creuser sa tombe à travers des moments terriblement gênants. Pour des raisons que la raison ignore, cette saison finale est criblée de scènes WTF, dans le mauvais sens du terme.
Ⓒ Netflix
Les exemples sont légion. On pense à ce chapitre où les ados de Liberty High partent en excursion dans les bois et que leur classe verte se mue en véritable film d’horreur – la vision que Jessica a de Bryce avec des cafards lui sortant de la bouche nous hantera longtemps à coup sûr. Ou bien à ce début d’épisode insensé où Clay s’imagine dans un monde post-apocalyptique digne d’un récit de SF. Souvent, ces errances narratives, durant lesquelles 13 Reasons Why s’essaie à d’autres genres et d’autres esthétiques, sont utilisées pour mettre en exergue la culpabilité que ressentent les personnages et les délires paranoïaques qui les tourmentent. Sauf que ça dessert sa cause plus qu’autre chose.
Le fait que la série veuille encore une fois parler de santé mentale est éminemment perceptible. Cela dit, elle le fait d’une manière beaucoup trop ubuesque, fantasmant ce qu’est la paranoïa avec des hallucinations perchées au possible plutôt que de s’ancrer dans un quelconque réalisme. Ses dérives absurdes discréditent totalement les conversations qu’elle espérait alors ouvrir.
On se dit alors que 13 Reasons Why pourrait fonctionner grâce à sa bande d’ados et à l’alchimie qu’ils possèdent les uns avec les autres. Mais là encore, ça ne fonctionne pas. Plus que jamais, les enjeux de cette quatrième saison sont desservis par des amitiés qui ne sont pas suffisamment crédibles. L’exemple parfait reste ce moment où Jessica supplie Ani d’emménager avec elle comme si les deux avaient une proximité sans pareil depuis le début – alors que, rappelons-le, Ani fricotait avec Bryce, le violeur de Jessica, au fil de la saison 3. Hormis quelques exceptions, les amitiés de 13 Reasons Why ne tiennent pas la route car les personnages sont unis par leur loyauté et leur peur commune de se faire démasquer. Derrière ça, il n’y a pas de réel lien développé par les scénaristes, et c’est bien dommage.
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Cette saison 4 est encore une fois problématique, persistant dans sa volonté d’humaniser les violeurs. Après Bryce qui avait droit à un arc narratif rédempteur durant la troisième saison, c’est à Monty d’être perçu comme une victime plus qu’autre chose grâce aux hallucinations de Clay. C’est important d’offrir des personnages à plusieurs facettes, oui, mais pas au point de rendre tout blancs des antagonistes ayant abusé sexuellement de personnes sans défense. Plutôt que de transformer Bryce et Monty en martyrs, 13 Reasons Why aurait gagné à les confronter au système judiciaire américain. Le message aurait été plus fort, mais la série a préféré donner dans le sensationnalisme.
Cette saison finale culmine avec la mort de Justin. Alors qu’il lâche son dernier souffle dans l’ultime épisode, on apprend qu’il est atteint du sida, en plus de souffrir d’une pneumonie et d’une méningite. Ce dénouement ne va pas pour deux raisons : la première, 13 Reasons Why participe à une vision biaisée et rétrograde du VIH, qui évolue bien plus lentement et est beaucoup plus gérable de nos jours que ce que la série veut bien nous faire croire. D’autre part, la série se débarrasse ainsi d’un des rares personnages à avoir mérité sa rédemption, ayant énormément évolué pour le mieux au fil des quatre saisons. Le choix de sa mort, soudaine et peu réaliste, paraît alors injustifié.
De bout en bout, cette saison 4 est une aberration et prouve une fois pour toutes que 13 Reasons Why aura été en proie à une crise identitaire. En effet, la série s’est toujours cherchée, voulant autant être un Pretty Little Liars 2.0 qu’une œuvre engagée et militante traitant de thèmes forts et contemporains. Mais il faut croire que ces deux extrêmes ne peuvent pas faire bon ménage, comme nous l’a prouvé 13 Reasons Why avec ses dernières saisons somme toute médiocres. Une occasion manquée, pour une série qui ne nous manquera pas.
13 Reasons Why est disponible en intégralité sur Netflix à l’international.