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Aujourd’hui, j’habite à Paris. Et pourtant, pour mes amis, je reste “la provinciale”. Quand j’étais adolescente, cette situation me paraissait totalement contradictoire. Pour mon cousin, lyonnais, j’étais la campagnarde. Mais pour mon oncle et ma tante, qui habitent dans un bled de 200 habitants au milieu des champs, j’étais la citadine.
Je suis née et j’ai vécu toute mon enfance à Saint-Clément. C’est un village de 3 000 habitants avec deux boulangeries, une pharmacie, un vétérinaire, une auto-école et un kebab. Il est situé à côté de Sens, une ville de 27 000 habitants, avec tout ce qu’il faut.
Sens, c’est là où on va dès qu’on a quelque chose à faire : pour faire les courses, on va à Sens ! Pour sortir avec ses potes, on va à Sens ! Pour aller au cinéma, à la piscine, au lycée, on va… à Sens. Finalement, on habite à Saint-Clément, mais on vit à Sens.
À la campagne, on a la télé, des portables, Internet, et même des voitures !
J’ai vraiment pris conscience du clivage entre Paris et la campagne quand je suis arrivée à Paris pour faire mes études. J’ai débarqué à l’université de Nanterre. Presque toutes les personnes que j’ai rencontrées et avec qui j’ai sympathisé étaient de la région parisienne. C’est là que j’ai pu voir tous les préjugés des Parisiens sur la campagne.
Mais ce qui m’a le plus affectée, c’est leur sentiment de supériorité : “Paris, ma ville, la plus belle ville du monde”, “je ne sais pas comment on peut ne pas habiter à Paris, quoi”. Alors je voudrais, aujourd’hui et maintenant, rétablir la vérité sur la “province”.
Déjà, la vie n’est pas si différente : on a la télé, des portables, Internet, et même des voitures ! Le matin, on se lève, on va au lycée ou au travail, on mange à la cantine, on revient le soir, fatigués. On voit nos amis, on va au théâtre, au cinéma, ou on fait des activités sportives ou artistiques, on mange et puis on va se coucher.
Bon, OK, il y a quand même des trucs qui changent. Les magasins ferment plus tôt et ne sont pas des petits Carrefour City mais de gros hypermarchés, et les transports en commun sont très limités : à la campagne, on passe tous notre permis à 18 ans. Parce que sans voiture, on meurt. Alors, du coup, quand on est jeune, on est beaucoup moins mobile que l’on pourrait l’être à Paris.
Simple illustration : le lycée de Sens est un des plus gros lycées de France, avec 3 000 élèves. Il regroupe tous les élèves dans un périmètre de 30 kilomètres. Alors ceux qui habitent loin prennent un car scolaire, qui ne passe qu’une fois le matin à 6 h 45 et les ramène le soir à 18 heures. Forcément, ils sont obligés de rester toute la journée au lycée, même s’ils commencent plus tard, même s’ils finissent plus tôt.
Du coup, comme les élèves sont coincés toute la journée à Sens, ils restent toute la journée ensemble, et j’ai l’impression qu’il y a une plus grande proximité entre eux. Par exemple, il arrivait souvent qu’une copine vienne dormir à la maison, ou qu’elle vienne manger.
En terminale, j’avais une amie qui habitait loin du lycée et qui déjeunait chez moi presque tous les midis avec mon père, même si je n’étais pas là. À Paris, cela ne se fait pas du tout, car comme on n’habite jamais très loin, on rentre toujours chez soi pour un oui ou pour un non. C’est cette proximité qui me manque surtout.
À Paris, il y a un énorme individualisme
D’ailleurs, mes amis parisiens se voient toujours à l’extérieur : ils vont boire un verre quelque part, manger au restaurant, plutôt que de s’inviter à la maison. À la campagne, quand on se voit, c’est souvent chez nous. C’était le cas avec mon copain : il habitait à 15 kilomètres de Sens et lorsqu’on se voyait, c’était presque toujours l’un chez l’autre. Ce qui fait qu’en gros, on passait alternativement un week-end chez mes parents, puis un week-end chez les siens.
Finalement, mes parents sont aujourd’hui un peu comme ses deuxième parents et inversement. Et puis, comme nos parents nous déposaient souvent, ils se rencontraient, ce qui fait qu’ils sont devenus amis et qu’ils font des dîners ensemble, sans nécessairement qu’on soit là avec mon copain. Quand j’ai dit ça à mes copines parisiennes, elles ont trouvé ça super marrant.
Aussi, à Paris, j’ai l’impression qu’il y a tellement de monde qu’on croise rarement quelqu’un qu’on connaît. Il y a un énorme individualisme qui n’existe pas à la campagne. On vit dans un quartier, mais on n’y a aucun ami. D’un côté, ça a un avantage : tu peux sortir incognito en pyjama sans te taper la honte si tu croises quelqu’un que tu connais.
Mais d’un autre côté, c’est un peu triste de sortir et de se sentir seul au milieu de tout ce monde… Quand je sors à Sens avec ma mère, même si c’est pour faire des courses, on croise toujours quelqu’un, une connaissance, avec qui on parle minimum cinq minutes. C’est une des choses avec lesquelles j’ai beaucoup de mal à Paris : l’indifférence.
La campagne, ce n’est pas moins bien, ni mieux que Paris, mais juste différent.
Capucine, 19 ans, étudiante, Paris
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.