Tombé dans le trafic de shit quand il a décroché des cours, Ilan a brassé pas mal d’argent. Et puis, un jour, la rencontre avec sa copine va tout chambouler.
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Petit, j’ai souvent vu les condés à la maison. Je me souviens de leurs bottes sur le parquet, c’était chelou. Au début, ils venaient à cause de mon père. Ensuite, ça a été pour mon grand frère. Je viens d’une petite ville du 93 que je n’ai jamais quittée. Quand j’avais environ 8 ans, mon père est parti. J’ai commencé à traîner avec des potes, dans le quartier. J’allais de moins en moins en cours. C’est difficile d’avoir à se débrouiller seul.
À 12 ans, j’ai commencé à vraiment sécher les cours. J’ai toujours été avec les plus grands, ceux qui avaient deux, trois ans de plus que moi. Un jour, il y en a un qui m’a demandé de guetter vite fait pour lui. Au début, je n’ai pas compris, il m’avait demandé de rester devant la porte du bâtiment et de le prévenir si les condés passaient.
Je trouvais ça excitant. J’avais l’impression de servir à quelque chose, d’être utile. Ce jour-là, j’ai dû rester trois heures. J’étais pas à temps plein. Un temps plein, c’est douze heures, là, c’est vraiment aliénant. Bref, j’ai fait ça pendant quelques mois. Ça s’est ébruité parce que des gens de mon collège m’avaient vu.
L’administration et mon père ont été mis au courant. Et j’ai été envoyé en internat. J’avais l’impression que cet engrenage dans l’illégalité était héréditaire. La misère est le moteur de ces trafics. Je me sentais démuni, il n’y avait jamais de recours ou de relais sociaux compétents pour m’aider.
Sorti de l’internat, j’avais 16 ans. Je voyais souvent les plus grands que moi au quartier. Je savais qu’ils ne gagnaient pas leur vie légalement. Mes amis menaient tous des trafics. Je ne voulais pas lâcher les cours mais la manière dont ils se débrouillaient me stressait trop. Ils ne se couvraient pas suffisamment, ne mettaient pas de cagoules ou pas de gants, ne changeaient pas de SIM régulièrement. Ils ne faisaient pas attention à leur sécurité.
Trois kilos toutes les deux semaines
Je leur ai donné des conseils sur la manière dont on peut mieux se protéger et sur les méthodes pour accroître leurs affaires. Je me disais que si je le faisais à leur place, je le ferais bien mieux. Je les voyais se faire beaucoup d’argent et ça a fini par m’attirer. Je me suis complètement impliqué. J’ai choisi de me débrouiller seul. Pour moi, avoir un Grand, c’était être faible.
J’avais plus le temps de dormir. Je voulais toujours plus d’argent, mais je ne gardais rien pour moi : j’achetais toujours plus de gros pour revendre, trois kilos toutes les deux semaines environ. Je partais chercher seul. Je me souviens être rentré chez moi un soir avec une liasse de 1 000 euros en petites coupures.
Au bout d’un moment, voir les clients et les servir, ça m’a dégoûté. Je coupais tellement de shit que j’en avais plein les doigts, ça collait, ça me répugnait. Je me levais le matin, avec une soixantaine de messages sur mon bigo, mais rien sur mon iPhone. En vrai, j’me sentais seul. Dès que mon bigo sonnait, ça commençait à me soûler. Je voulais arrêter de vendre.
Je voulais être plus respectable, pour ma copine
Ma copine a été le déclic. Je ne pouvais plus continuer ça et être en couple. Être en couple, c’est avoir des responsabilités. Je voulais être le plus respectable possible pour elle. Et surtout, je ne voulais pas l’impliquer là-dedans. On implique toujours nos proches indirectement. Tu tombes seul mais une peine, ça se fait à deux. Quand tu tombes, c’est ta famille qui doit aller au parloir, qui lave ton linge, qui envoie des mandats. En plus, ils sont souvent mis sur écoute. Je ne voulais pas imposer ça à ma famille.
Ma copine m’a poussé à reprendre mes études, à m’investir dans la religion et à trouver du travail. C’était dur au début, on m’a beaucoup pénalisé. Mon lycée m’a viré sans raison. On m’a dit : “Ce lycée n’est pas une structure adaptée pour toi.” Mais je me suis accroché et j’ai eu mon bac, seul. Je suis le seul garçon de ma famille à l’avoir eu.
Aujourd’hui, je sais que je suis responsable de mes actes mais pas de ma condition. Celle qui m’a mené à ces dérives. Au moment où j’ai arrêté, des plus grands que moi ont voulu me racheter mes cartes SIM. J’ai préféré ne pas leur vendre. Je les ai donc cassées. J’avais décidé de quitter tout ça, c’était pas pour qu’eux prennent le relais et se mettent à leur tour en danger. Il n’y a pas d’avenir dans ce milieu, personne ne s’en sort réellement : soit on s’appauvrit, soit on est incarcéré, soit on meurt. Mais personne ne vieillit bien.
Ilan, 18 ans, étudiant
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.