Après l’armée algérienne, c’est au tour de l’armée soudanaise d’annoncer la destitution de son chef d’État. Omar el-Béchir, président soudanais qui a dirigé le pays d’une main de fer depuis son accession au pouvoir en 1989, est tombé ce jeudi.
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L’ancien chef d’État, âgé de 75 ans, contre qui la Cour pénale internationale avait émis deux mandats d’arrestation en 2009 et 2010, pour dix chefs d’accusation – cinq pour “crime contre l’humanité”, deux pour “crime de guerre” et trois pour “crime de génocide”, commis pendant la guerre civile au Darfour – est actuellement détenu par l’armée.
Cette destitution intervient après trois mois de très fortes protestations du peuple. Le 19 décembre, un mouvement de contestation a vu le jour après que le gouvernement avait pris la décision de multiplier le prix du pain par trois. Ces manifestations pour demander une hausse du pouvoir d’achat se sont rapidement muées en forte contestation du pouvoir en place.
Mohammed, un médecin soudanais de 23 ans, a répondu depuis Khartoum aux questions de Konbini news. Il revient sur la genèse du mouvement et sa participation aux protestations :
“Nous nous sommes soulevés contre la dictature du Général Omar el-Béchir et son régime en demandant nos droits fondamentaux, parmi lesquels celui de bien vivre après la crise économique qui s’est produite ici. Nous protestions aussi contre l’inflation, qui avait dépassé 70%, contre le triplement du prix du pain et les queues dans les stations-services.”
“Tout ce qu’il s’est passé, c’est que nous avons demandé nos droits”
“Les manifestations étaient pacifistes”, explique ensuite le jeune homme, avant de poursuivre :
“Depuis la naissance de cette révolution, plus de 90 personnes ont été tuées par les forces d’el-Béchir et des dizaines ont été blessées ou arrêtées. Nous avons vécu des temps très difficiles.”
“Tout ce qu’il s’est passé, c’est que nous avons demandé nos droits”, résume Mohammed. Le 22 février, le gouvernement avait décrété l’état d’urgence pour tenter de contenir le mouvement, en vain. En réponse à cela, des milliers de personnes sont sorties dans les rues ces derniers jours pour demander la fin du régime el-Béchir, et ont manifesté devant la résidence du président.
“Le 6 avril, nous avons organisé un grand sit-in”, raconte Mohammed. “Malheureusement, plus de 28 personnes ont été tuées à cette occasion”, condamne-t-il.
Les affrontements sont devenus plus violents. L’ambassade de France à Khartoum expliquait hier : “à Khartoum, à proximité de l’état-major général des armées soudanaises, des affrontements ont donné lieu à des échanges de tirs et ont fait des victimes.”
Une image prise lors des manifestations a rapidement fait le tour du monde. Sur ce cliché, on y voit une femme, debout sur le toit d’une voiture, index levé face à la foule. Rappelant fortement La Liberté guidant le peuple, la jeune femme, identifiée comme étant Ala’a Salah, 22 ans, est vite devenue une véritable icône de la révolte soudanaise.
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“Les gens ne veulent pas d’un conseil militaire”
Mais en ce jeudi 11 avril, à peine l’euphorie des manifestants retombée, les premières déceptions voient le jour. Un conseil militaire de transition doit désormais prendre le pouvoir pour deux ans, a annoncé le ministère de la Défense soudanais. Les craintes de voir l’armée diriger le pays pointent déjà. Sur Twitter, la figure du mouvement contestataire Ala’a Salah a déclaré :
“Les gens ne veulent pas d’un conseil militaire de transition. Le changement ne pourra pas arriver avec le régime entier d’el-Béchir qui tente de tromper le peuple civil avec un coup d’État militaire. Nous voulons un conseil civil pour diriger la transition.”
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Même conclusion du côté de Mohammed qui nous explique :
“Ce matin on s’est réveillé en entendant l’information de la destitution d’el-Béchir. On était très heureux. Mais après, on a appris qu’un conseil militaire allait prendre le pouvoir. Nous refusons ça bien sûr.”
“Nous allons continuer les sit-ins”, assure-t-il, ajoutant : “tous les Soudanais refusent la situation”. “Nous demandons que la transition soit assurée par des civils, pas par des militaires, et il faut organiser des élections et éviter la corruption”, conclut le jeune homme, qui retourne manifester dès ce soir.
Quant à l’avenir du désormais ex-président soudanais, il reste incertain. Sa chute du poste de président entraine par conséquent la perte de son immunité présidentielle, rendant désormais de plus en plus probable le fait de voir Omar el-Béchir un jour traduit devant la justice internationale.