Dans ce nouveau format “Démissions”, d’anciens fonctionnaires expliquent pourquoi ils ont décidé de jeter l’éponge. Cartographie d’une fonction publique mal en point que la crise sanitaire finit d’achever. De nouveaux témoignages sont à venir via des vidéos et des articles.
Les fonctionnaires sont de plus en plus nombreux à jeter l’éponge : manque de moyens, de reconnaissance : ils parlent d’une “prison dorée”, à l’instar de Marie-Camille, ex-professeure d’histoire-géographie en collège puis en lycée. Elle a enseigné pendant sept ans, sept années où elle a été confrontée aux changements de programmes, à la pression pour aller toujours de plus en plus vite sans que les élèves ne parviennent à suivre, au manque de matériel dans les classes… L’ancienne professeure pointe du doigt une Éducation Nationale “maltraitante” envers ses salariés.
Marie-Camille n’arrivait plus à tenir. La peur de craquer devant les élèves était trop grande, avec des classes qui atteignaient, 36 voire 37 élèves. Le manque de matériel était criant : “On entrait dans la classe le jour de la rentrée et il n’y a tout simplement pas assez de tables ou de chaises pour asseoir tous les élèves.” Difficile dans ces conditions d’affirmer son autorité dès le premier jour.
“Les efforts m’ont semblé vains et le jeu n’en valait plus la chandelle”
Ce qui faisait tenir Marie-Camille ? Les élèves, sans aucun doute. “Pendant mes sept années d’enseignement, ma seule reconnaissance venait des élèves, que les choses soient très claires.” Mais tous ces problèmes mis bout à bout ont pris le dessus et Marie-Camille, agrégée d’histoire, décide de mettre fin à sa carrière de professeure, un métier qui était pourtant une vocation. “J’avais une vraie révélation pour l’enseignement. […] J’avais envie d’avoir une mission sociale et politique auprès des jeunes.” Elle débute sa carrière dans des établissements qui “n’étaient pas les plus privilégiés de France.” La jeune professeure retient aussi la tragique histoire de Samuel Paty qui l’a profondément affectée : “Soudainement, les efforts m’ont semblé vains et le jeu n’en valait plus la chandelle” explique-t-elle.
Marie-Camille remarque une vraie différence entre sa manière d’enseigner au début de sa carrière et presque dix ans plus tard, tant les méthodes d’enseignement changent en fonction des différents ministères, ce qui engendre “des revirements politiques qui donnent des revirements pédagogiques. […] Au début de ma carrière, on me demandait d’enseigner de telle manière et puis avec la dernière réforme du ministre Blanquer, on nous a demandé de travailler différemment, voire de manière antagoniste.”
“Pour que je sois payée en tant que correctrice du bac, j’ai attendu 4 ans”
L’impression d’être déshumanisé est réelle : “Nous sommes un numéro au rectorat, rectorat qu’il est impossible de joindre.” Le manque de reconnaissance, quant à lui, est couplé à une profonde lassitude : “On a l’impression de ne jamais atteindre un objectif”. Sans parler des longues heures de transport pour se rendre sur son lieu de travail : “J’avais trois, quatre heures de transport pour aller travailler. C’est usant lorsqu’on prend un métro puis un train et un bus et on ne peut rien faire contre ça, à part déménager.”
Dans l’Éducation Nationale, tout prend beaucoup de temps, souligne l’ancienne professeure : “Pour que je sois payée en tant que correctrice du bac, j’ai attendu 4 ans”, il en va de même pour que sa démission soit acceptée. Le délai varie et tourne autour de 4 mois entre le moment où la demande est exprimée et lorsqu’elle est effective.
La dépression finit alors par s’installer, inévitablement : “Tous les soirs, je pleurais jusqu’à temps que je m’endorme.” Marie-Camille dit ne plus avoir les épaules pour supporter cette pression, d’autant plus lorsqu’elle voit des élèves en souffrance :
“Lorsqu’il y a des problèmes d’orientation, on ne peut plus demander le redoublement ou la réorientation, sous peine de vices de procédure. Et en même temps, on doit emmener les élèves qui réussissent facilement le plus loin possible, sans pour autant laisser de côté ceux qui sont en souffrance. Sauf que lorsqu’on a 36 élèves et de mauvaises conditions techniques, ça devient mission impossible. J’ai trouvé ça très violent.”
Elle revient donc sur ce parcours du combattant pour quitter l’Éducation Nationale et sur le soulagement lorsqu’elle a appris que sa démission avait été acceptée. Depuis, elle va beaucoup mieux en entame bientôt une formation pour devenir architecte d’intérieur. Une “renaissance” pour l’ancienne fonctionnaire.