“Ching, chang, chong !” : petite, je pouvais régulièrement entendre cette expression dégradante dans la cour de récréation, ou être qualifiée de “Chinoise”. Dans ma vie d’adulte, il m’arrive encore d’entendre ce qualificatif, malgré le fait que j’aie grandi en France et que je m’identifie en tant que Française.
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Née d’une mère vietnamienne/indienne et d’un père français aux origines floues, je n’échappe pas à certaines situations. Pour certains, le fait d’être bridée résume une appartenance à un seul pays. La question sur mes origines est récurrente lors de mes rencontres. Souvent, elle n’est pas malveillante mais associée à de la curiosité.
Cependant, elle renvoie à une particularité et à la remise en cause de ma légitimité à être face à mon interlocuteur. Face à ce racisme ordinaire, je me suis longtemps demandé si les personnes perçues comme blanches me considéraient comme une personne “racisée”, et inversement. Où est ma véritable place ?
Les codes de la culture française ne sont pas innés
J’ai grandi en banlieue lyonnaise, au cœur d’un melting-pot culturel, en me demandant : “Suis-je censée choisir une origine ethnique pour pleinement m’identifier à une culture ?” Comment puis-je me sentir héritière de l’histoire de France, lorsque mes parents sont originaires de plusieurs pays du globe ? Ma quête d’identité fait face à une certaine acculturation au pays qui m’a vue naître. En effet, posséder les codes de la culture française n’est pas inné. Chez moi, on mange principalement des plats asiatiques, mais on parle exclusivement français.
Après la guerre du Vietnam, mes grands-parents ont immigré dans l’Hexagone avec ma mère alors qu’elle avait 5 ans. Bouleversés par cette immigration brutale, ils ont tenu à conserver leur culture d’origine. Il était important pour eux de continuer à communiquer en vietnamien, à manger vietnamien et à côtoyer des familles vietnamiennes près de chez eux. Leur intégration a été laborieuse puisqu’ils ne maîtrisaient pas bien la langue française.
Le vietnamien n’aurait pas dû être une LV3 pour moi
Ils ont éduqué ma mère en reproduisant des schémas traditionnels vietnamiens. Dès son plus jeune âge, ma mère a eu le devoir de s’atteler à la cuisine et aux tâches ménagères avec ses sœurs, et n’a pas eu le droit de sortir tard, contrairement à ses frères. Elle a donc rejeté sa culture d’origine et n’a pas ressenti le besoin de me transmettre la langue vietnamienne.
C’est une chose que ma famille a du mal à comprendre. Régulièrement, ils me parlent en vietnamien, sans que je puisse répondre. Cela me frustre beaucoup. Parler vietnamien m’aurait permis d’avoir un lien plus fort avec eux. Aujourd’hui, j’ai la possibilité d’apprendre le vietnamien par moi-même, mais ça ne m’attire pas. J’ai intériorisé l’idée que parler vietnamien aurait dû être inné. En somme, être le fruit de mon éducation et ne pas transformer ma langue en une LV3. Et j’aurais eu l’opportunité de visiter un jour le Vietnam plus aisément !
Néanmoins, j’ai un certain héritage culturel. Ma culture vietnamienne, j’en retire d’importantes valeurs, telles que la générosité, le respect des personnes plus âgées, l’humilité ou la pudeur. Ça diffère quelque peu de l’esprit révolutionnaire français et de cette arrogance qui façonnent son charme et sa singularité. Réussir à mêler les cultures demande un apprentissage. Cela passe par une remise en question de soi et de ses pratiques. À présent, je comprends que cela représente une richesse.
Deviner mon origine, cette attraction
Le métissage apporte une certaine ouverture d’esprit et une plus grande tolérance à la différence. Par contre, j’ai toujours reçu des remarques sur mon apparence. Dans le cadre familial, à chaque réunion : “Que tu es grande !”, puisque je suis la personne la plus grande du côté de ma famille maternelle.
Également, dans un contexte social, j’accueille de façon récurrente et sans surprise la question : “Tu viens d’où ?”, faisant de moi l’attraction pendant dix minutes lorsque les individus souhaitent deviner mes origines, et citent tous les pays asiatiques.
En tant que femme, je reçois également des remarques sexistes, la remise en cause de ma place, ou de mes compétences dans le cadre professionnel, notamment. Lors d’un déjeuner, je me souviens de la remarque de ce jeune homme blanc issu d’une classe aisée : “Vu ton apparence physique, tu ne dois pas avoir de culture générale” – afin d’asseoir sa position dominante.
Dans ce cas, plusieurs rapports de domination peuvent se croiser. C’est ce que l’on appelle l’intersectionnalité. En étant femme et asiatique, je constate la force des clichés et la fétichisation : l’idée selon laquelle les femmes asiatiques sont douces, soumises ou travailleuses. Dans les rapports de séduction, j’ai notamment pu entendre : “Je ne suis jamais sorti avec une femme asiatique, tu dois être [ainsi]” ou “Tes parents sont-ils en France ?”, questionnant de nouveau ma légitimité à être ici.
La sociologie m’a permis de mieux appréhender les rapports de domination
Alors, à la question précédemment posée : “À qui m’identifier ?”, une réponse tranchée est complexe. À présent, je m’épanouis en essayant de devenir la personne que je veux être. J’aspire à voyager autant que possible, afin de nourrir ma curiosité envers les diverses cultures et les régions du monde. Et je souhaite profondément m’engager dans le domaine de l’humanitaire, dans le but de venir en aide aux populations opprimées et/ou invisibilisées.
C’est pourquoi je me suis tournée vers un master Inégalités et discriminations. La sociologie m’a permis de mieux appréhender les rapports de domination qui régissent notre société, et de me situer. Inconsciemment, je cherche peut-être à mieux me comprendre et à appréhender les situations discriminantes que j’ai pu subir.
Cathy, 24 ans, en service civique, Lyon
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.