Le Conseil constitutionnel a jugé la loi de 2016 conforme à la Constitution.
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(© John Carey)
Les clients des prostituées restent passibles d’une amende en France : le Conseil constitutionnel a déclaré vendredi 1er février “conforme” à la Loi fondamentale la loi d’avril 2016, rejetant l’argument d’associations qui critiquaient un texte portant atteinte à la “liberté d’entreprendre” et à la “liberté sexuelle”.
Les “sages” ont estimé qu’“en privant le proxénétisme de sources de profits”, le législateur avait entendu “lutter contre cette activité et contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle, activités criminelles fondées sur la contrainte et l’asservissement”.
Le législateur “a ainsi entendu assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d’asservissement et poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions”, affirme le Conseil constitutionnel.
Neuf associations, dont Médecins du monde et le Syndicat du travail sexuel (Strass), et une trentaine de travailleurs du sexe étaient à l’origine de cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contre la loi qui prévoit une amende pouvant aller jusqu’à 1 500 euros, et 3 750 euros en cas de récidive pour les clients.
Les requérants ont immédiatement fustigé “une mauvaise décision”, dangereuse pour la santé et les droits des travailleuses du sexe “sacrifiées sur l’autel de la morale”, tandis que les associations abolitionnistes se réjouissaient d’une “décision historique” et de voir “le principe de dignité reconnu comme objectif”.
Deux positions irréconciliables
Ce recours avait ravivé un débat déjà très âpre lors du vote de la loi, entre deux camps ayant pour objectif commun une meilleure protection des prostituées mais aux positions irréconciliables.
D’un côté, les requérants vent debout contre une loi qui réprime, “même entre adultes consentants“, le recours à la prostitution, méconnaissant les droits constitutionnels à “l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle, le droit au respect de la vie privée, la liberté contractuelle, la liberté d’entreprendre”.
“Nous sommes des acteurs de terrain, et nous voyons les dégâts de cette loi tous les jours”, a déploré auprès de l’AFP Irène Aboudaram de Médecins du monde.
De l’autre, d’autres associations, dont le Mouvement du nid, favorables à la législation de 2016 et qui estiment que “pénaliser est indispensable pour abolir la violence, car sans acheteur il n’y a pas de prostitution”.
“Nos opposants ont voulu refaire le match. On s’est d’abord dit ‘que de temps perdu’, mais finalement cette décision permet de clore le débat”, a estimé Grégoire Théry, porte-parole du Mouvement du nid. En novembre dernier, Mickey Meiji, ancienne prostituée sud-africaine, témoignait :
À l’audience du 22 janvier, l’avocat des requérants Patrice Spinosi avait critiqué “le caractère schizophrénique” de la situation actuelle : la pénalisation de clients de travailleurs du sexe exerçant, eux, une activité licite. Et pointé la part d’hypocrisie du législateur, qui “aurait dû interdire la prostitution” s’il voulait “interdire tout recours à la prostitution”.
Au contraire, pour les défenseurs du texte, “abroger la pénalisation du client, ce serait favoriser la loi du plus fort” et la liberté doit être pensée comme “un principe de protection”.
Au quotidien, la pénalisation des clients a, selon les associations qui attaquent la loi, fait baisser les revenus des travailleurs du sexe et les a obligés à accepter des rapports non protégés ou à exercer dans des endroits plus isolés, à l’écart de la police et où ils sont davantage exposés aux agressions. Il y a quelques jours, Anaïs témoignait :
Le texte prévoyait une évaluation de la loi deux ans après sa promulgation, mais le rapport, attendu en avril dernier, n’a toujours pas été remis par le gouvernement.
“Nous en appelons maintenant au législateur pour qu’il tire immédiatement les conséquences de l’impact sanitaire et sécuritaire catastrophique que la pénalisation des clients a sur les personnes se prostituant”, ont déclaré dans un communiqué commun les 22 associations et travailleurs du sexe requérants.
“Cette loi profite aux proxénètes. Depuis, je suis obligée de passer par des intermédiaires, de travailler en salons ou avec des agences, à qui je reverse une partie de mes revenus“, a témoigné Anaïs, porte-parole du Strass.
Elle et plusieurs autres travailleurs du sexe ont annoncé leur intention de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).