Il y a quelques mois, un ami nous parlait de Coco.fr, un chat où il avait l’habitude de se rendre adolescent pour “escroquer des pédocriminels”. Face à nos airs intrigués, Jérémy, aujourd’hui âgé de 29 ans, s’étonne que nous ne connaissions pas le célèbre site de conversation en ligne. D’autant qu’il se traîne une réputation pour le moins sulfureuse.
Quelques clics plus tard, on constate que la plateforme est toujours en ligne et qu’elle est toujours très facile d’accès. Sur la page d’accueil au graphisme hyper daté se dessine une noix de coco coupée en deux d’où s’échappe un jus blanc dégoulinant de manière suggestive.
En théorie, Coco.fr est “un réseau social où vous pouvez retrouver vos amis, multiplie[r] les rencontres et développe[r] [votre] réseau de connaissances.” Et même “un forum de discussion sympa”, promet la page d’accueil.
Coco.fr, c’est gratuit et sans inscription. Il suffit de rentrer son pseudo, sa ville et son âge supposé. Comprenez qu’il est possible d’accéder aux discussions sans renseigner d’e-mail. C’est un des aspects qui explique l’attractivité du chat à l’interface aussi moyenâgeuse que sa page d’accueil.
Il n’est mentionné nulle part qu’il faut avoir plus de 18 ans pour rejoindre la plateforme. Lorsqu’on renseigne un âge en dessous de 18 ans, un pop-up apparaît avec une simple phrase sans ponctuation. Il suffit alors de saisir “18 ou plus” et le tour est joué pour accéder au site et aux fameux chats…
13,5 millions de visites par mois
Coco.fr a réuni une moyenne de 13,5 millions de visites par mois ces trois derniers mois, selon Similarweb.
Dans un premier temps, on a été sur le site sans mentir sur notre âge (30 ans), pour voir. Et immédiatement, les conversations étaient très orientées sur le sexe. On a reçu dick pics et autres propositions sexuelles tarifées en masse. Mais ce n’est pas tout. Un des internautes avec lequel nous discutions nous a très vite signalé la présence de “pédophiles”, “de gens très perturbés”. Le site est donc connu pour ça.
Ce qui nous ramène à l’histoire de Jérémy. Adolescent, il faisait ce qu’on appelle de l’hameçonnage, avec pour cible des pédocriminels.
“Le plan principal, c’était de se mettre sur Coco avec un blaze de meuf. Moi, je prenais souvent Lili18, parce qu’il faut mettre en avant que t’es très jeune. Là, il y a plein de mecs qui viennent te parler, te proposer des trucs, de l’argent… À côté, on avait des fausses images de webcam de meufs et quand ils se méfiaient un peu, on leur foutait la fausse webcam.”
Lui et son acolyte les faisaient ensuite venir sur MSN.
“On avait réussi à faire une espèce de hacking : on leur disait que s’il nous faisait un Allopass [société de micropaiement], on montrerait plus. On envoyait alors un lien, les mecs cliquaient, et en plus de nous lâcher deux balles, ça bouffait tous les identifiants de tous les sites sur lesquels ils étaient allés. Parfois, on allait même jusqu’à leur dire de nous montrer leur carte bancaire par webcam. Ils étaient cons, hein.”
Cette histoire, “c’était en 2008-2010”, se souvient Jérémy, qui explique avoir choisi ce site parce que c’est “le plus simple possible, avec le moins de vérifications, pas de modérateurs”.
Âmes sensibles s’abstenir
Aujourd’hui, Coco.fr est-il toujours “pédoland” ? On a vérifié. Âmes sensibles s’abstenir. Une de nos journalistes s’est risquée à passer la matinée sur Coco.fr sous l’identité de Rose14.
En quelques secondes, les fenêtres de conversation s’ouvrent sans qu’elle n’ait rien à faire. Les échanges qu’elle a avec certains hommes donnent la nausée.
Certains n’hésitent pas à montrer leur visage (si ce n’est que ça). À chaque fois Marie, alias Rose, précise pourtant “mais j’ai 14 ans” – quasi toujours en vain.
Les pédocriminels ne se cachent pas sur Coco.fr. Ils se vantent même. “Une meuf de 13 ans m’a sucé”, lance un internaute pour tenter de convaincre “Rose”, après lui avoir envoyé plusieurs photos de son pénis.
© Capture écran Coco
Coco.fr est régulièrement accusé d’être un repaire à pédocriminels. Wanted Pedo, une association qui lutte contre la pédocriminalité, lui a déjà consacré une vidéo en 2018.
Interrogé par Konbini news, son porte-parole Maxime Montaut, confirme : “La plateforme n’est pas du tout safe. On l’a signalé à plusieurs services spécialisés.”
Selon lui, on y rencontre deux types de prédateurs :
“Il y a les ‘fantasmeurs’ qui veulent de l’instantané, donc ils envoient des trucs sans jamais essayer d’avoir des informations précises sur l’enfant. Et il y a ceux qui cherchent à savoir où vit l’enfant, si il est dans une famille de cas sociaux ou si elle est proche de lui… Et quand ils ont ces informations, ils cherchent à avoir des photos de l’enfant, à lui donner rendez-vous… Et si l’enfant est un peu esseulé, il se laisse embarquer. C’est eux, les plus dangereux.”
Au fil du temps, plusieurs pétitions ont été mises en ligne pour demander la fermeture du site, pour ce motif et d’autres. Le nom de ce “réseau social” revient trop souvent dans la rubrique faits divers. On peut citer plusieurs cas de guets-apens homophobes pour lesquels la prise de contact a eu lieu sur Coco.fr.
Le 13 avril dernier, le magazine Têtu écrivait : “Il faut redoubler de vigilance et en particulier sur le chat Coco.fr” qui se faisait l’écho d’une affaire sordide au terme de laquelle trois hommes ont été condamnés à cinq et six ans de prison dans l’Oise (Hauts-de-France), après la violente agression d’un homme rencontré via la messagerie.
Un “tchat sauvage”
Le magazine et site d’informations LGBTQ+ a d’ailleurs consacré une enquête à ce “tchat sauvage, habitué de la rubrique faits divers”, en décembre dernier.
Il y a quelques semaines, nous recevions Caroline Darian pour son livre Et j’ai cessé de t’appeler Papa, dans lequel elle raconte comment son père a drogué sa mère pendant dix ans pour que des inconnus la violent. Elle y détaille comment il recrutait des hommes pour avoir des rapports sexuels avec sa femme plongée dans un sommeil préalable. Sans surprise, le nom de Coco apparaît rapidement.
“Son mode opératoire est toujours le même, il passe par le site de rencontre Coco”, raconte la jeune femme.
Sur les faits de pédocriminalité, le cabinet d’Adrien Taquet a indiqué à Public Sénat, le 28 avril dernier, que des solutions techniques étaient en train d’être mises en place en partenariat avec des acteurs privés et associatifs “afin de contrôler l’âge des utilisateurs tout en respectant leurs données personnelles et leur anonymat”.
De son côté, l’association de protection des mineurs sur Internet e-Enfance, se veut rassurante.
“Les sites comme Coco.fr sont anciens. Ils ne sont pas forcément fréquentés par des jeunes. D’ailleurs, si vous y êtes allés, vous n’avez pas dû croiser beaucoup de jeunes qui avaient l’âge que vous prétendiez avoir”, explique Samuel Comblez, psychologue et directeur adjoint de la structure contacté par Konbini news.
Se rassurer
“Ce sont majoritairement des adultes. D’ailleurs, je pense qu’ils y perdent beaucoup de temps. Quand on est une jeune escort qui a envie de se faire de l’argent facilement avec des adultes, il existe des sites bien plus efficaces et commodes à utiliser que Coco.fr qui est un peu d’un autre âge. Ça ne veut pas dire que les jeunes n’y vont pas, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas en parler et qu’il n’y a pas de danger”, s’empresse-t-il d’ajouter.
“Les jeunes ont quand même une certaine maturité au niveau de leurs usages et de leur façon d’appréhender Internet. Ils sont quand même conscients des risques. Ils vont y aller pour s’amuser, pour se faire peur… mais ils n’y vont pas naïvement. Ils savent qu’ils vont tomber sur des pervers, sur des exhibitionnistes… et donc ils se protègent. D’ailleurs, bien souvent, les jeunes y vont en groupe”, poursuit-il.
Par ailleurs, il déplore que ces sites soient encore en ligne malgré les nombreux signalements : “C’est un site qui a plus de dix ans d’existence. C’est des générations entières d’enfants et d’adolescents. Il y a urgence, je pense.”
Il rappelle enfin que le problème n’est pas le chat en soi, mais bien son accessibilité et son absence de modérateur.
“En soi, il n’y a pas de raison d’interdire le site, puisque après tout, si des adultes veulent y aller, pourquoi pas ? La pornographie n’est pas interdite en France. Entre adultes consentants, il n’y a aucun souci. On ne peut pas contrôler l’âge des utilisateurs sur les écrans, donc forcément, c’est un peu compliqué”, conclut-il.
Contacté par Konbini news, Coco.fr n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.