Pour Amnesty International, l’adoption d’une telle proposition de loi “aurait de graves conséquences”.
À voir aussi sur Konbini
© Photo by Fred TANNEAU / AFP
“Liberticide” pour les uns, “anti-démocratique” pour les autres : la proposition de loi “visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs”, surnommée “loi anti-casseurs”, étudiée à l’Assemblée nationale depuis mardi 29 janvier et adoptée en première lecture par le Sénat, inquiète citoyens et politiques.
Pour Benoît Hamon de Génération.s, ce n’est rien d’autre que “la réponse de circonstance d’un pouvoir faible”. Pour Bruno Retailleau des Républicains, pourtant à l’origine du texte déposé en octobre qui a servi de base à cette nouvelle proposition, “ce texte ne va ressembler à rien” car il a été selon lui “dénaturé”.
Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, assure pour sa part que le texte ne va que “renforcer le droit de manifester” en “protégeant habitants, commerçants, forces de l’ordre et manifestants contre l’ultra-violence”. Et d’évoquer un “texte tolérance zéro” pour “stopper les brutes”.
Le reproche principal qui est fait au texte est celui d’étendre le pouvoir policier au détriment des décisions judiciaires et de vouloir dissuader les gens qui le souhaitent de se rendre aux manifestations.
L’interdiction de manifester “ouvre la voie à l’arbitraire”
Le point qui pose le plus problème réside dans l’interdiction administrative de manifester sans jugement, parfois en se basant simplement sur l’entourage d’un individu. L’instauration de cette interdiction est stipulée en ces termes par l’article 2 :
“Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté motivé, interdire de prendre part à une manifestation déclarée ou dont il a connaissance à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public et qui s’est rendue coupable, à l’occasion d’une ou plusieurs manifestations sur la voie publique, des infractions […] du Code pénal.”
Pour Amnesty International, il s’agit d’une “formulation vague et floue” et “en ne permettant pas aux citoyens de connaître les règles qui sanctionnent leur comportement et d’ajuster leurs choix en conséquence pour ne pas être punis injustement, elle ouvre la voie à l’arbitraire”.
Mais pas seulement : une personne qui “appartient à un groupe ou entre en relation de manière régulière avec des individus incitant, facilitant ou participant à la commission de ces mêmes faits” pourra également être interdite de manifestation, sur la simple base de son entourage.
Enfin, l’article 3 propose la possibilité d’instaurer un “suivi” de ces personnes par le biais d’un “traitement automatisé de données à caractère personnel”. Une mesure vue comme une manière d’instaurer un “fichage” légal.
Un texte qui pourrait “priver arbitrairement des milliers de citoyens de manifester”
La proposition de loi proposait d’autres mesures parmi lesquelles, via l’article premier, l’introduction de l’autorisation des “palpations de sécurité”, “l’inspection visuelle” et la “fouille de bagages” sur ordre du préfet de police “pendant les six heures qui précèdent la manifestation et jusqu’à dispersion, à l’entrée et au sein d’un périmètre délimité“. Pour l’heure, cet article a été supprimé et doit être réécrit.
L’article 5 propose quant à lui que soit passible de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende le fait de porter une arme ou “tout objet susceptible de constituer une arme, y compris des fusées et artifices” ou de “jeter un projectile présentant un danger pour la sécurité des personnes dans une manifestation dans la voie publique”. Actuellement, cette peine n’est applicable qu’au port d’armes.
En outre, l’article 4 de la proposition de loi, également vivement critiqué, prévoit pour sa part qu’il sera interdit de dissimuler son visage, “totalement ou partiellement”, dans le but de ne pas être identifié·e sous peine de se voir infliger une peine d’un an de prison ferme et d’une amende de 15 000 euros. Certains amendements ont été déposés afin d’exclure les casques et les cagoules de cet article. Actuellement, le fait de couvrir complètement son visage dans un lieu public est passible d’une amende de 150 euros.
“De graves conséquences”
Amnesty International a qualifié cette proposition de “liberticide”. Selon l’ONG, si elle était adoptée, elle aurait “de graves conséquences sur le droit de manifester pacifiquement en France” et de surcroît, “ne répondrait pas aux violences commises par des individus dans les manifestations” :
“Elle donnerait en revanche tout loisir à un pouvoir politique qui serait peu soucieux des droits humains de priver arbitrairement des milliers de citoyens de manifester.
Elle permettrait aux autorités de poursuivre arbitrairement de nombreux manifestants et aurait un effet dissuasif fort sur la participation des citoyens à des manifestations.”
Des critiques qui pourraient se multiplier au regard des dizaines d’amendements qui ont été proposés par les élus et pourraient venir s’ajouter à ce texte, à l’instar de la proposition controversée du député Républicain Éric Ciotti d’intégrer un article additionnel autorisant le recours à la reconnaissance faciale.
Dans le cadre de la #PPLAnticasseurs je demande l’autorisation du recours à la reconnaissance faciale déjà utilisée dans de nombreux pays et qui mériterait d'être mise en oeuvre dans ce texte. #DirectAN pic.twitter.com/0hZWest1Ww
— Eric Ciotti (@ECiotti) 23 janvier 2019