“L’eau, ça doit être synonyme de vie et pas de mort” : 7 questions pour comprendre la Journée mondiale des toilettes

“L’eau, ça doit être synonyme de vie et pas de mort” : 7 questions pour comprendre la Journée mondiale des toilettes

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À gauche : Pérou, 2015. © REUTERS/Mariana Bazo
À droite : Népal, 2011. © REUTERS/ Navesh Chitrakar

Deux milliards de personnes dans le monde boivent de l’eau qui vient de sources contaminées par de la matière fécale.

“Cette journée peut faire sourire mais, en réalité, elle parle de problèmes très graves.” À l’occasion de la Journée mondiale des toilettes, qui a lieu le vendredi 19 novembre, Camille Romain des Boscs, directrice générale chez Vision du monde, nous explique l’urgence qu’il y a à œuvrer pour l’accès à des toilettes dignes pour tous.

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Problème majeur de santé publique, en particulier pour les enfants, facteur de décès mais aussi de pollution des sols et des eaux, frein à la scolarisation et vecteur de perpétuation des violences faites aux femmes et aux petites filles : les conséquences dramatiques du manque de toilettes faciles d’accès, propres, décentes et sécurisées sont multiples. Entretien.

Népal, 2015. (© Reuters/Navesh Chitrakar)

Konbini news | Pour certains, l’existence d’une Journée mondiale des toilettes peut paraître dérisoire ou risible. Quel est son objectif ?

Camille Romain des Boscs | Cette journée sert à rappeler qu’il y a 3,6 milliards de personnes dans le monde qui n’ont pas accès à des toilettes dignes, c’est-à-dire des toilettes qui sont sécurisées, fermées et qui peuvent être vidées. Il y a parfois de vagues trous qui sont faits près des habitations, mais c’est catastrophique parce que ce sont des nids à bactéries et des bombes à retardement de maladies. Ce sujet peut sembler tout bête ou faire ricaner, mais en réalité, le fait qu’il n’y ait pas de toilettes, ça a des conséquences gravissimes.

Quelles sont les régions et les catégories de personnes les plus touchées ?

Cela touche essentiellement des populations des milieux ruraux et pauvres, en Afrique subsaharienne, en Océanie, en Asie du Sud. Ce sont souvent des populations qui sont déjà pauvres, à la fois dans les zones rurales comme je le disais, mais également dans les bidonvilles et les camps de réfugiés. On n’y pense pas forcément, mais la promiscuité dans ces camps rend la question des toilettes encore plus importante.

Concrètement, quelles sont les conséquences sanitaires du manque d’accès aux toilettes dans le monde ?

Très concrètement, il faut imaginer que quand les gens n’ont pas de toilettes, ils vont tous les jours dans la nature se soulager et cette défécation à l’air libre, ça va petit à petit polluer, non seulement les sols, mais également les cours d’eaux. Le problème, c’est que quand on est dans ces zones rurales et souvent pauvres, les gens vont boire une eau qui n’est pas re-traitée et donc souillée par la matière fécale.

Ce n’est pas un problème isolé, puisqu’il n’y a pas moins de deux milliards de personnes dans le monde qui boivent de l’eau qui vient de sources contaminées par de la matière fécale. Par la suite, cela peut engendrer des maladies qui peuvent être très graves pour des gens qui n’ont pas accès à des soins médicaux de base.

Prenons un exemple assez parlant : les gastro-entérites ou les diarrhées. Ici, cela nous semble anodin et on se dit “OK, ça se soigne”, en réalité, quand un enfant de moins de 5 ans qui est déjà faible va avoir une diarrhée ou une gastro, il va devenir très vite très faible. Il ne pourra plus s’alimenter, et comme il n’y a pas de structures médicales de base, ces enfants ne sont pas soignés : cela entraîne des conséquences parfois très graves, pouvant aller jusqu’à la mort.

Chaque jour, il y a près de 800 enfants de moins de 5 ans qui meurent des suites de maladies hydriques, donc très clairement liées au fait que l’eau est souillée. C’est énorme.

“Quand elles ont leurs règles, elles restent à la maison”

Selon votre ONG, “le difficile accès aux installations sanitaires perpétue les discriminations et les violences faites aux femmes et aux filles”. Pourriez-vous développer ?

C’est un autre volet, auquel on ne pense pas forcément non plus mais qui est très grave. La première chose, et on entend parfois aux infos les cas de l’Inde ou du Bangladesh, c’est que quand il faut aller aux toilettes et qu’il n’y en a pas, devoir s’éloigner des villages et des zones d’habitation engendre le fait que les femmes sont potentiellement exposées à des violences par les hommes.

Pérou, 2015. (© Reuters/Mariana Bazo)

La seconde, c’est un impact sur l’éducation : dans le monde, une école sur trois n’est pas équipée de toilettes adéquates et non mixtes. Or quand il n’y a pas de toilettes non mixtes dans les écoles, quand elles ne sont pas suffisamment décentes ou parfois même quand il n’y a pas de toilettes du tout, les filles sont plus réticentes à aller à l’école, surtout quand elles deviennent jeunes filles.

Au moment de la puberté, quand elles ont leurs règles, elles restent à la maison parce qu’elles n’ont pas de quoi se changer dans des endroits sécurisés qui garantissent leur intimité et leur sécurité. C’est un vecteur très clair d’absentéisme puis de décrochage scolaire des jeunes filles, et cela perpétue des inégalités entre les filles et les garçons.

Quels autres problèmes cela peut-il engendrer ?

On peut aussi regarder ça sous l’angle économique, en se disant que cette pollution des sols rend les gens malades, les enfants mais aussi les adultes. Quand les gens sont affaiblis, ils peuvent moins bien travailler. Quelque part, on peut considérer qu’il y aurait la possibilité d’une meilleure productivité si les gens étaient moins malades. Ça a un impact économique indirect.

À noter également qu’il s’agit d’un enjeu de sécurité pour les enfants. Il y a des histoires sordides, où, quand les infrastructures sont précaires avec des fosses qui ne sont pas entretenues, certains enfants se sont noyés en tombant dans les fosses.

“Pouvoir aller aux toilettes dignement et sans risquer sa vie”

Qu’est-ce qui est le plus urgent à mettre en place pour mettre un terme à cette situation dramatique ?

Je dirais la sensibilisation et des moyens. Pour faire en sorte que chaque foyer ait la capacité, si ce n’est entre ses murs, au moins dans des espaces collectifs propres et décents, de pouvoir aller aux toilettes dignement et sans risquer sa vie, sans risquer d’être violenté et de tomber malade.

Népal, 2011. (© Reuters/Navesh Chitrakar)

Enfin, comment expliquez-vous qu’en 2021, cette problématique persiste à une si grande échelle ?

En premier lieu, je pense que beaucoup de gens ne savent pas qu’il y a un problème. Il y a une méconnaissance de la situation, mais il suffit de regarder les chiffres. Il y a aussi beaucoup de boulot. Il y a énormément de villages et de zones à équiper d’installations qui soient solides.

C’est important parce que, par exemple au Bangladesh, Vision du monde a un programme dans lequel 60 % des ménages pratiquent la défécation à l’air libre parce qu’il n’y a pas d’installations ou que celles-ci sont trop fragiles. Quand il y a des crues, et c’est une zone où il y en a beaucoup, l’eau emporte tout. Il y a un enjeu de faire les choses, mais à les faire de façon durable. Et pour cela, il faut un petit peu de moyens.

Ensuite, il faut un véritable changement des comportements et des habitudes. Il faut pouvoir sensibiliser en expliquant que parfois, l’eau qui peut avoir l’air claire et potable est en fait contaminée. C’est ce que fait notre ONG : au-delà de la construction pure et dure, il y a aussi la formation à la réparation et à l’entretien, ainsi que la mise en place de dynamiques de bonnes pratiques d’hygiène afin d’éviter que les maladies ne se propagent et ne se perpétuent.

Il ne faut pas baisser les bras parce qu’encore une fois, l’eau, ça doit être synonyme de vie, et pas de mort.

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