“Le risque du RIC, c’est la radicalité. C’est oui ou non, c’est blanc ou noir : on perd la nuance des couleurs”, soutient l’universitaire Andreea Ernst-Vintila.
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(© Geoffroy van der Hasselt/AFP)
RIC. Cela fait plusieurs semaines que l’on voit cet acronyme dans les rassemblements de gilets jaunes. Il désigne le référendum d’initiative citoyenne ou référendum d’initiative populaire, RIP, dont le sigle est un peu moins répandu pour des raisons évidentes.
Lors de l’acte V de la contestation des gilets jaunes qui a eu lieu samedi 15 décembre, deux figures emblématiques du mouvement, Priscillia Ludosky et Maxime Nicolle, ont encore plaidé pour sa mise en place lors d’un rassemblement sur les marches de l’Opéra Garnier à Paris.
Le RIC permettrait aux citoyens d’être à l’origine d’une loi au même titre que le gouvernement ou les députés :
“[Les gilets jaunes souhaitent la] création d’un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les gens pourront faire une proposition de loi. Si cette proposition de loi obtient 700 000 signatures alors cette proposition de loi devra être discutée, complétée, amendée par l’Assemblée nationale qui aura l’obligation (un an jour pour jour après l’obtention des 700 000 signatures), de la soumettre au vote de l’intégralité des Français.”
Et le message semble sur le point de passer auprès du gouvernement. “Nous aurons un débat sur le référendum d’initiative citoyenne”, concédait prudemment le Premier ministre Édouard Philippe le dimanche 16 décembre dans les colonnes du journal Les Échos.
Plusieurs politiques l’avaient d’ailleurs mis dans leur programme dès 2017. C’est le cas de Marine Le Pen, de Jean-Luc Mélenchon ou encore de Nicolas Dupont-Aignan. Alors que le mouvement des gilets jaunes traduit une crise profonde de la représentativité, l’idée de renouer avec des outils de démocratie directe a le vent en poupe.
En réalité, depuis 2008, à l’article 11 de la Constitution, il existe le référendum d’initiative partagée. Mais ses conditions de mise en œuvre sont tellement drastiques qu’il n’a jamais été mis en œuvre. Il faut “un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales”, soit au moins 185 députés et sénateurs et plus de 4,5 millions d’électeurs.
“Le gros risque, c’est la manipulation des foules”
Séduisant, le référendum d’initiative populaire permettrait en effet de “redonner sa souveraineté au peuple”, comme le réclament les gilets jaunes. “Tout ce qu’on peut faire pour essayer de renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté nationale est une bonne chose”, avance Didier Maus, président émérite de l’association française de droit constitutionnel, interrogé par Konbini news.
Certains de nos pays voisins, comme la Suisse ou Italie, l’utilisent d’ailleurs à des degrés divers. Pourquoi est-il si peu exploité en France ? Selon Didier Maus, c’est parce qu’il porte atteinte au principe de représentativité : “Les parlementaires n’aiment pas le référendum parce que, effectivement, c’est une perte de leur pouvoir de décision.”
Toutefois, pour Florence Chaltiel-Terral, professeure de droit public à l’IEP de Grenoble, également interrogée par Konbini news, c’est aussi parce que cet instrument n’est pas sans danger :
“Le gros risque, c’est la manipulation des foules, les faux arguments, l’agitation de certaines craintes… Il y a beaucoup de risques avec la démocratie directe. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui, beaucoup de démocraties sont représentatives.”
Car le référendum assoit la décision d’une majorité sur la minorité. Ce sont “les 51 % qui décident pour les 49 % autres”, si on caricature. “Ce n’est pas pire que lors d’un vote au Parlement. On ne peut pas avoir d’autres systèmes de décision qu’un système majoritaire, que cette majorité soit formée par le peuple ou par une majorité parlementaire”, déplore Didier Maus.
“Si on avait soumis l’abolition de la peine de mort en 1981 à référendum, ça ne passait pas, constate Florence Chaltiel-Terral. Le gouvernant, si on l’a désigné, c’est qu’il a peut-être une hauteur de vue que nous n’avons pas. Et ce n’est pas être insultant envers le peuple que l’on est que de le reconnaître.”
Un outil qui renforce les antagonismes
Pour Didier Maus, l’outil référendaire est vertueux quelle que soit son issue : “En 2005, même si on peut déplorer le résultat, on a eu un débat absolument fantastique en France, avec tous les arguments possibles. On ne peut pas donner tort à l’ensemble du corps électoral, même si on regrette sa décision.”
L’autre crainte, formulée par Andreea Ernst-Vintila, chercheuse en psychologie sociale à Paris Nanterre, c’est le renforcement des antagonismes : “Le risque du RIC, c’est la radicalité. C’est oui ou non, c’est blanc ou noir : on perd la nuance des couleurs. Et on peut facilement transformer cet outil de manière totalitaire.”
En effet, “que se passerait-il si 700 000 citoyens proposent d’abolir la loi Veil sur l’avortement ?”, s’inquiète Florence Chaltiel-Terral. Pour Didier Maus, l’enjeu du référendum d’initiative citoyenne est lié à cette question de seuil. Il ne doit pas pouvoir être invoqué par une poignée de citoyens. Un constat que partage Florence Chaltiel-Terral.
Les deux spécialistes de droit constitutionnel s’entendent également sur l’importance d’établir une liste de domaines qui échappent au référendum, comme la fiscalité, la défense, l’ordre public ou encore les relations internationales.
Nul doute que toutes ces questions seront soulevées en janvier prochain lors de l’examen de la réforme constitutionnelle. C’est l’occasion idéale de modifier l’article 11 et de faire évoluer notre démocratie vers plus de participation.