Le Conseil d’État a donné jeudi 19 novembre trois mois à l’État pour démontrer qu’il prenait bien les mesures nécessaires pour parvenir à ses engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre. La plus haute juridiction administrative, qui se prononce ainsi pour la première fois dans un contentieux lié au changement climatique, avait été saisie par la commune côtière de Grande-Synthe, rejointe par d’autres villes et des ONG qui ont entamé de leur côté une action similaire contre l’État.
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Son maire écologiste, Damien Carême (élu depuis député européen et qui a donc quitté son mandat) a réagi à cet arrêt historique après s’être réjoui de la décision :
“C’est insupportable de voir un gouvernement signer des accords et se targuer de son ambition climatique mais ne rien faire pour les mettre concrètement en œuvre. La réalité c’est que la France n’est pas à la hauteur. Pire, elle figure parmi les plus mauvais élèves européens s’agissant du développement des énergies renouvelables ou de l’efficacité énergétique.”
“Il faut immédiatement mettre en œuvre une transition écologique ambitieuse, mettre un terme à notre dépendance aux énergies fossiles et au nucléaire, et investir massivement dans les énergies renouvelables” a-t-il poursuivi.
Le 9 novembre, le Conseil d’État avait demandé à demander à l’État d’expliciter les actions qu’il entreprend pour atteindre ses objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Pour rappel, en janvier 2019, Damien Carême avait saisi le Conseil d’État pour “inaction climatique” du gouvernement, estimant sa commune du littoral du Nord menacée de submersion.
L’action avait été rejointe par les quatre ONG portant “l’Affaire du siècle”, un autre recours en justice contre l’État pour inaction climatique. Elle a été soutenue par une pétition qui a recueilli plus de 2,3 millions de signatures.
Réduction des émissions de gaz à effet de serre
L’État, qui n’a pas envoyé d’avocat pour intervenir à l’audience, avait demandé dans ses documents écrits un rejet des demandes, pour des motifs de forme et de fond, avait alors indiqué à l’audience le rapporteur public, magistrat chargé de faire une recommandation sur le dossier, qui n’est pas forcément suivie par le Conseil d’État.
Le magistrat avait recommandé une “mesure supplémentaire d’instruction” d’une période de trois mois, pendant laquelle le gouvernement devrait exposer concrètement les mesures prises pour atteindre les objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) prévus notamment par la “Stratégie nationale bas-carbone”.
Atteindre la neutralité carbone en 2050
Sa dernière version, adoptée en avril 2020, prévoyait de réduire les émissions de 40 % (par rapport à 1990) en 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Or, en la matière, “le cœur du sujet est le calendrier des actions”, puisqu’il “y a bien urgence climatique aujourd’hui”, a poursuivi le rapporteur. Et les engagements de la France, dans le cadre de l’accord de Paris, des législations européennes ou nationales ne peuvent avoir “un objectif uniquement programmatique mais bien contraignant.”
“Renvoyer les requérants à 2030 ou 2050 pour voir si les objectifs sont atteints vous conduirait à participer à cette tragédie” climatique, car “le risque existe que tout retard soit irréversible”, selon le rapporteur. Et d’enjoindre les juges à “ouvrir des portes” pour “pouvoir contrôler dès aujourd’hui la part d’efforts que la France doit fournir” dans la lutte mondiale contre le réchauffement.
Il avait par ailleurs demandé que la demande de M. Carême soit rejetée à titre personnel, mais celle de la municipalité de Grande-Synthe acceptée, ainsi que celles des autres parties intervenantes.
Les avocats des requérants se sont félicités de ces recommandations. Pour Grande-Synthe, Régis Froger avait dénoncé un État qui “diminue ses objectifs dans son nouveau budget carbone parce qu’il ne tient pas ses engagements de baisse d’émissions”. Son confrère Guillaume Hannotin avait fustigé pour les associations “beaucoup de discours et peu d’actes” de l’exécutif et appelé les juges à “prendre l’État au mot en lui rappelant que les objectifs sont réellement obligatoires.”