Alexandre Jollien a un vague souvenir d’avoir été jeté “comme un paquet” dans cet institut en Suisse alors qu’il n’avait que trois ans. “À l’époque, on plaçait les gens dans des foyers, à l’écart de la société, c’est-à-dire un acte assez violent, qui met en question comment, aujourd’hui, on intègre les personnes dites ‘marginales’.”
Né avec une infirmité motrice cérébrale, le philosophe se souvient : “Ce qui m’a le plus peiné à l’institut c’est ce qu’on appelle “la distance thérapeutique”, à savoir que les infirmiers, les soignants n’avaient pas le droit de s’attacher aux gens. Pour moi, c’est de l’ordre de la maltraitance mais ce ne doit pas être facile pour un soignant de trouver une approche aimante à l’autre.” Il se rappelle aussi des couloirs froids, des lumières blanches, des médecins, d’un endroit qui à première vue peut sembler inhospitalier mais où la solidarité prend largement le dessus.
“J’ai vécu de trois ans à vingt ans coupé du monde”
Pourtant, Alexandre Jollien a noué des liens amicaux “indéfectibles” et s’est construit dans cet endroit, pendant toute son enfance et son adolescence “coupé du monde”. Difficile donc de s’approprier les “codes” imposés dans la société, qu’il a découverts en sortant de l’institut, à ses 20 ans. “Ce qui m’a le plus frappé en sortant de l’institut c’est l’individualisme, le vernis social. Qui on doit embrasser, à qui on doit toucher la main, ce sont des codes qu’on apprend toute sa vie mais je n’étais pas initié à ça.”
Il dénonce le rôle de la pression sociale, devoir de fonder une famille, avoir un travail, chose qu’il trouve tout à fait cohérente si cela vient “d’une nécessité vitale et d’un choix libre”, mais pas question de s’y conformer si c’est “pour faire comme tout le monde”. Il dénonce le poids de la comparaison, qui peut devenir un “véritable poison” lorsqu’on pense au qu’en-dira-t-on, très présent dans notre société.
“Notre société impose des standards et met beaucoup de monde sur la touche”
Le philosophe propose de se détacher des “standards” le plus possible, voire totalement pour vivre heureux. Il essaye de ne pas s’identifier à une image sociale et se raccroche à la méditation. Lui, c’est la philosophie et la spiritualité qui l’ont aidé à “ne plus vivre en mode pilotage automatique et à aller vers l’autre sans calcul.” Un des meilleurs remèdes pour lui serait “l’amitié, le regard des autres. Parce que s’il y a des regards qui nous tuent, il y a des regards qui nous guérissent, qui nous aident à vivre.”
Dans ses Cahiers d’insouciance (éditions Gallimard), le philosophe se sert de l’écriture comme exutoire, pour oublier son passé en institut et réussir à vivre dans la joie, sincère et profonde. Pour (re)voir son Speech :