Carlos Ghosn, qui a fui le Japon malgré son interdiction de quitter le territoire et son assignation à résidence, le 29 décembre dernier, a pris la parole cet après-midi. Depuis le siège du syndicat de la presse libanaise à Beyrouth et devant une salle remplie de journalistes du monde entier, l’ancien PDG de Renault-Nissan, accusé de malversations financières, a livré une conférence de presse très attendue.
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Le Franco-libano-brésilien, âgé de 65 ans, a d’abord débuté avec des mots à l’adresse des journalistes, et notamment français : “je voudrais saluer nos amis de la presse française qui sont là”, mais surtout l’État libanais, “le seul pays qui a été à mes côtés”, a-t-il dit.
Il a déclaré avoir attendu ce jour “avec impatience” depuis le jour où il a été “brutalement arraché” à son monde et sa famille. “Je n’ai pas connu un moment de répit depuis le 19 novembre 2018”, a-t-il lancé, avant de dire “la joie” qu’il a “à être réuni à nouveau avec [s]a famille et les êtres qui [lui] sont chers”.
Il a aussi parlé de ses conditions de détention au Japon, où il avait été incarcéré pendant 130 jours avant d’être mis en liberté sous conditions. Évoquant un “sentiment de désespoir profond”, il a pointé du doigt ce qu’il considère avoir été une “atteinte à sa dignité” et “aux droits de l’homme”, citant notamment le jour où il a été présenté devant un juge nippon, menotté et “lié par une laisse autour de la taille.”
Il a aussi précisé ne pas “être là pour raconter” comment il a fui le Japon, même s’il a dit comprendre l’intérêt porté à son évasion, avant d’ajouter :
“Pour la première fois depuis le début de ce cauchemar, je peux me défendre et répondre à vos questions. […]
Il était très facile de me cogner dessus quand j’étais en prison.”
Et de poursuivre : “Je ne suis pas là pour me présenter en victime mais pour évoquer un système qui viole les principes d’humanité les plus fondamentaux.” Il a ensuite remercié ses proches, son épouse, ses sœurs et ses enfants et ceux qui lui ont témoigné du soutien.
Sous-entendant avoir été victime d’une machination et d’une “campagne de diffamation”, Carlos Ghosn a déclaré : “Ces 14 derniers mois sont le résultat obtenu par une poignée d’individus sans scrupule de Nissan, qui ont bénéficié du soutien du procureur de Tokyo.” Il a déclaré avoir fui car il était “présumé coupable” : “je n’ai pas eu d’autre choix”.
“Je vous ai promis des noms, je vais vous donner des noms”
Évoquant ensuite les accusations judiciaires qui pèsent sur lui, Carlos Ghosn les a jugées “sans fondement”. Puis il a encore martelé être victime d’un “complot organisé” avec des collusions entre Nissan et le procureur en charge de l’affaire. Les deux principales raisons de l’organisation de celui-ci sont selon lui “la performance de Nissan en baisse” au début de 2017, menant à la volonté de Nissan de “se débarrasser de l’influence de Renault sur Nissan”. Et donc, “ils ont voulu se débarrasser de moi”, pour se débarrasser de Renault, a-t-il assuré.
“Je vous ai promis des noms, je vais vous donner des noms”, a-t-il ensuite lancé, évoquant successivement plusieurs noms de l’entreprise, parmi lesquels celui de l’ancien directeur exécutif de Nissan, le Japonais Hiroto Saikawa. Mais il a refusé de donner les noms des officiels japonais qui seraient selon lui mêlés au complot dont il dit être victime. “Je m’impose le silence”, a-t-il dit “pour respecter” le Liban et ne pas l’embarrasser dans ses relations diplomatiques avec le Japon.
Il a ensuite évoqué sa surprise lors de son arrestation : “je ne m’attendais à rien”, comparant son arrestation à l’attaque de Pearl Harbour. “Je savais que Nissan était derrière tout ça”, a-t-il poursuivi, avant d’évoquer ses conditions de détention dans “une petite cellule”. “La collusion entre Nissan et le procureur est partout”, a-t-il affirmé.
Sur les conditions de détention, il a déclaré n’avoir eu le droit qu’à deux douches par semaine, sans accès à des médicaments. Il a pointé du doigt des interrogatoires “jour et nuit, sans avocat” et détaillé :
“J’ai passé 130 jours en prison, à l’isolement, dans une petite cellule sans fenêtre, avec la lumière jour et nuit.
J’avais l’autorisation de sortir 30 minutes par jour, mais pas le week-end.”
“Je pensais que j’allais mourir”
Et au sujet de son épouse, Carole Ghosn, à l’encontre de qui un mandat d’arrêt pour faux témoignage a été émis par la justice japonaise mardi 7 janvier, l’homme d’affaires a déclaré : “nous suspectons qu’elle a dit quelque chose de faux et neuf mois plus tard, on se rend compte de ça, la veille de la conférence de presse, quelle coïncidence !”, puis il a ajouté : “Carole a beaucoup de courage”. “Elle est partie, elle a quitté le Japon parce qu’elle avait peur, [… mais] elle est revenue”, a-t-il continué.
Il a tout de même évoqué à nouveau sa fuite, assurant : “je pensais que j’allais mourir au Japon, donc il fallait que je quitte le pays”. Et il est revenu sur les accusations qui pèsent sur lui, qui sont, comme le rappelle l’AFP :
“Deux pour abus de confiance aggravé et deux pour des revenus différés non déclarés aux autorités boursières par Nissan (aussi poursuivi sur ce volet), notamment des montants qu’il devait toucher après sa retraite estimée par la justice à 9,23 milliards de yens (74 millions d’euros) de 2010 à 2018.”
“J’ai été arrêté parce que je n’avais pas déclaré une rémunération qui ne m’avait pas été payée et qui n’avait même pas encore été décidée !”, a-t-il assuré. Carlos Ghosn a ensuite projeté plusieurs documents stabylotés qui d’après lui prouvent sa bonne foi et discréditent toutes les accusations auxquelles il fait face. Il a promis de les mettre à la disposition des journalistes qui voudraient les consulter.
Versailles : “je n’ai pas fait ça pour faire comme Louis XIV”
Ensuite, il a accusé Nissan d’avoir investi de l’argent pour salir son image. Et, on se rappelle du scandale de Versailles, provoqué par la diffusion d’une vidéo de l’évènement : Carlos Ghosn avait loué avec l’argent de Renault le château le jour de son soixantième anniversaire, officiellement pour célébrer les quinze ans de l’Alliance Renault-Nissan.
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Il a justifié le choix du lieu en expliquant : “Je n’ai pas fait ça pour faire comme Louis XIV”. Et d’ajouter : “Versailles est un symbole du génie de la France.” Il a ensuite décidé de revenir sur le cœur de la polémique, à savoir le financement de cette location. Selon le sexagénaire, qui a projeté la facture, la salle a été mise à disposition à titre gracieux, en raison de l’activité de mécénat de l’entreprise auprès du château.
Après quelques mots concernant son amour du Japon et la situation économique du groupe aujourd’hui, il a conclu sa longue prise de paroles par ces mots :
“Ils voulaient tourner la page Ghosn, ils ont réussi à tourner la page Ghosn. […]
Je suis innocent. […] La justice est la seule façon de rétablir ma réputation.”