“J’ai jamais vu autant de monde” : éprouvées par la crise sanitaire, des centaines de nouvelles personnes affluent devant les centres de distribution alimentaire des Restos du cœur, qui tentent d’éviter les files trop longues et espèrent que la deuxième vague “ne sera pas pire”.
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“Bonjour Madame, vous êtes combien à la maison ?”, demande Aziz Saghro, bénévole au centre Cesselin, à Paris, en mettant six litres de lait dans le charriot à roulettes de Stéphanie*.
Cette femme de 34 ans a trois enfants. Au chômage et en instance de divorce, elle a poussé la porte des Restos du cœur il y a deux semaines.
“Depuis que je suis seule, mon chômage ne suffit plus”, raconte à l’AFP cette ancienne vendeuse dans le prêt-à-porter, son charriot rempli d’un peu de viande, d’un melon, de conserves, de pain, de petits gâteaux, de bananes, de pâtes et de riz.
“Les produits sont souvent à date courte, ce n’est pas le grand luxe, mais je m’en fiche, ça m’aide beaucoup”, ajoute la trentenaire, orientée aux “Restos” par des amis et qui souhaite pour l’instant ne rien dire à ses enfants.
“L’accueil est nettement moins humain”
Dans ce centre d’accueil et de distribution alimentaire du 11e arrondissement, l’un des plus gros de la capitale, environ 330 personnes, toutes inscrites préalablement, sont accueillies chaque jour. Par rapport à octobre 2019, la fréquentation a augmenté de 88 %. Pour tout Paris, la hausse est de 50 %.
“Théoriquement, on ouvre à 13 heures mais quand on arrive le matin pour installer, il y a déjà des gens, constate Philippe Blanc, responsable adjoint du centre. La queue aujourd’hui, elle est monstrueuse. Pour aller plus vite, on a démarré à 12 h 30″.
Avec la crise engendrée par le coronavirus, “beaucoup de personnes nouvelles sont arrivées aux Restos pendant le confinement”, explique ce bénévole depuis six ans.
Mesures sanitaires obligent, les règles ont changé : pas plus de sept bénéficiaires à l’intérieur, on ne peut ni toucher ni choisir les produits, et la quinzaine de bénévoles, tous masqués, distribuent à bonne distance derrière les étals.
“L’accueil est nettement moins humain, on ne peut pas toujours recevoir comme on le voudrait nos bénéficiaires. Mais on était là pour la première vague et on espère que la deuxième ne sera pas pire”, ajoute Philippe Blanc.
“Il y a trop de misère”
Pour faire face à l’attente dehors de centaines de personnes, parfois sous la pluie, il faut aller vite. En une heure à peine, une bonne partie de la marchandise a disparu dans un ballet confus de cabas et de chariots roulants.
Dans la queue, Philippe, 56 ans, soupire : “Il y a trop de misère. Je viens depuis plus de 10 ans et j’ai jamais vu autant de monde.” Métallier-serrurier pendant trente ans, ce quinquagénaire a eu plusieurs accidents de travail et ne peut plus travailler. Il touche 700 euros de pension d’invalidité. “Ce boulot, ça casse son homme. Depuis dix ans, j’ai jamais pu m’en sortir sans les Restos”, dit-il.
Créée en 1985, l’association qui compte aujourd’hui 2 000 centres et 73 000 bénévoles est passée de 8,5 millions de repas distribués la première année à 130 millions l’an passé. Sur les 900 000 personnes accueillies en 2019, près de 50 % avaient moins de 25 ans, dont 40 % de mineurs.
Interrogé récemment par des députés, son secrétaire général Philip Modolo a dit craindre “une augmentation des publics extrêmement importante, au moins de 20 à 30 %”, du fait de la crise sanitaire.
Comme Carlos, carrossier de 55 ans, qui vient d’être licencié et dont la femme est gravement malade. “Cette crise, elle fait beaucoup de mal car beaucoup de gens comme moi ont perdu leur emploi”, dit-il.
Pour lui, “ce n’est pas une honte” d’aller aux Restos du cœur car “chacun fait comme il peut”. “Heureusement que Coluche a créé ça”, sourit-il.
*Le prénom a été modifié.
Konbini news avec AFP