Le site de vidéos Jacquie et Michel, puissante incarnation du porno amateur en France, est visé depuis cet été par une enquête pour “viols” et “proxénétisme” à Paris, après la multiplication des témoignages d’actrices occasionnelles ayant travaillé pour l’entreprise.
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Cette enquête, confiée à la police judiciaire parisienne, a été ouverte le 10 juillet sur la base d’un signalement adressé par trois associations féministes, a indiqué jeudi le parquet de Paris, confirmant une information du journal 20 minutes.
Les associations Osez le féminisme, Les Effronté·es et le mouvement du Nid avaient effectué ce signalement en février après la diffusion d’une vidéo réalisée par le site Konbini. Dans ce document intitulé “Les coulisses sordides du porno amateur”, deux femmes témoignaient de pratiques sexuelles imposées contre leur volonté au cours de tournages.
“J’avais dit : ‘Pas d’anal’, on m’a proposé de le faire, j’ai dit non […] et pendant l’une des scènes, ils ont quand même essayé contre mon gré”, y racontait l’une d’elles, Nailie. “T’as peur, vraiment, t’oses pas dire non, t’es devant la production, les acteurs, et t’es complètement seule. Donc non, tu dis pas non.”
“Il y a eu une double pénétration vaginale de laquelle je n’avais pas été prévenue avant”, confiait une autre femme, anonyme. “J’ai eu le réflexe de dire non, puis il m’a dit : ‘T’inquiète pas, ça va rentrer.’ […] Il y avait des cailloux partout, moi, j’étais à 4 pattes, j’avais presque les genoux en sang, j’étais vraiment pas à l’aise pour faire ça”, témoignait-elle.
Dans un communiqué en soirée, le groupe propriétaire des sites Jacquie et Michel a affirmé ne faire que “diffuser les films tournés par des sociétés de production tierces et indépendantes”. Le groupe, est-il ajouté, “mettra en place dès demain une enquête interne visant” ces sociétés et “rompra immédiatement tout lien avec celle[s] qui serai[en]t mise[s] en cause si les faits étaient avérés”.
Contacté par l’AFP, l’avocat du groupe, Me Nicolas Cellupica, affirme que ce dernier “a déjà rompu par le passé des liens avec des sociétés de production après de telles dénonciations”.
Pour le journaliste Robin D’Angelo, auteur d’un livre-enquête sur son infiltration dans l’industrie du porno amateur, Jacquie et Michel se présente comme “une plateforme de diffusion de vidéos produites par des professionnels et dans lesquelles on va entretenir une esthétique amateur”.
Le groupe, qui annonçait 15 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, selon le journaliste, a fondé son succès sur l’achat à petits prix de vidéos d’amateurs en France, avant de professionnaliser peu à peu sa production. “La société titulaire de la marque s’est organisée pour être le moins possible responsable de la production, elle se limite à diffuser du contenu qu’elle achète à d’autres”, a-t-il expliqué à l’AFP.
“Système pornocriminel”
L’entreprise fondée en 1999, florissante, concurrence désormais Dorcel, un des leaders de l’industrie pornographique. Dans son livre, Judy, Lola, Sofia et moi, Robin d’Angelo documentait l’absence récurrente de consentement et les entorses au droit du travail.
“En général, il n’y a pas de contrat de travail, seulement une cession du droit à l’image pour des sommes comprises entre 250 et 300 euros”, a-t-il détaillé. “Beaucoup de gens regrettent et ont beaucoup de mal à faire retirer la vidéo.”
L’enquête ouverte vise, en outre, certaines pratiques qui pourraient relever du proxénétisme. “Un acteur, pour avoir beaucoup de scènes, va parfois être invité à trouver de nouvelles filles et être rémunéré pour ça”, raconte le journaliste.
Ces témoignages et cette enquête “sont, pour nous, un signal fort envers cette industrie qui exploite et violente un grand nombre de femmes”, s’est félicitée auprès de l’AFP Claire Quidet, présidente du mouvement du Nid. “Parmi les personnes que nous recevons pour raconter ce qu’elles subissent, il y en a de plus en plus qui sont ou ont été actrices dans l’industrie pornographique”, a-t-elle ajouté.
“Loin d’être une marque populaire, fun et française, Jacquie et Michel est un cheval de Troie de la culture du viol, qui cible en priorité les plus jeunes”, a souligné Claire Charlès, présidente des Effronté·es, dans un communiqué commun des trois associations, qui veulent voir l’enquête élargie pour “actes de torture et barbarie” et “abus de faiblesse”.
Elles jugent “indispensable que le système pornocriminel cesse d’être l’angle mort de la politique abolitionniste de la France” et s’interrogent : “Quelle est la différence entre prostitution et pornographie, sinon la présence d’une caméra dans la pièce ?”