Avant, on savait qu’on entrait dans la période de Noël lorsqu’on recevait les catalogues de jouets dans les boîtes aux lettres ou que les rues du centre-ville s’illuminaient. Maintenant, on est prévenu beaucoup plus tôt grâce à Instagram et Snapchat. Dès le début du mois de novembre, certain·e·s influenceur·se·s font la promotion de calendriers de l’avent.
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Et ce n’est pas vraiment de leur faute. Les fêtes représentent un pic d’activités pour les commerces et les marques, qui multiplient donc les “opés” avec leurs hommes et femmes sandwich 2.0. Codes promo, calendriers de l’avent, jeux concours… Depuis plusieurs semaines, c’est un matraquage permanent de posts et de stories sur les réseaux.
“La période de septembre à janvier, c’est la plus grosse période sur YouTube, parce qu’il y a la période de Noël, parce qu’il y a le Black Friday, parce qu’il y a les soldes”, expliquait très honnêtement Louis Cznv, lui-même youtubeur et influenceur, dans une vidéo publiée le 29 décembre dernier.
Dans sa vidéo “Les mythos de vos influenceurs préférés”, on apprend notamment que les Vlogmas (contraction des mots “vlog” et “Christmas”) n’ont pas vraiment pour but de cultiver l’esprit de Noël. Il s’agit plutôt d’honorer les contrats signés avec des marques avides de visibilité en cette grosse période d’achats.
Le télé-achat 2.0
Instagram, Youtube, Snapchat… depuis quelques semaines, on étouffe, alors que le reste de l’année, c’est déjà relativement irrespirable. Les partenariats et autres publicités sont partout, tout le temps, qu’il s’agisse de culottes menstruelles, de patchs anti-ondes portables ou de bougies d’oreille (on y reviendra).
Aux mains des influenceur·se·s, la publicité est parfois grossière. Certaines stars des réseaux sociaux ne semblent plus très investies. Ça se comprend. Les plus gourmand·e·s font la promotion de 4 à 5 produits par jour. En plus de créer des contenus, il faut trouver le moyen de glisser discrètement les éléments de langage de la marque.
Ce n’est pas toujours facile. Surtout quand on n’a pas bossé. De gênantes à hilarantes, ces séquences sont compilées sur Internet. Ce compte Twitter, par exemple, est une véritable pépite.
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Dans d’autres cas de figure, ce sont les produits qui laissent perplexe. On a tou·te·s vu apparaître, médusé·e·s, les bougies d’oreille dans les stories des un·e·s et des autres. Parodiées par l’humoriste Maxime Gasteuil, ces bougies censées nettoyer les oreilles sont devenues virales sur les réseaux sociaux.
Visuellement, il faut bien reconnaître que c’est impressionnant. Mais est-ce que ça marche et est-ce que ce n’est pas dangereux ? Ce sont exactement les questions que s’est posées le youtubeur Bastos, qui en a fait une vidéo crash test.
“Bastos, Darko et Julien Geloen ne font pas beaucoup de publicités et quand ils le font, ils ont une éthique”, explique Louis Lorenzo qui représente les trois influenceurs qui se sont fait connaître dans Secret Story en 2016.
Dropshipping et pronos
Interrogé par Konbini news, il assure que les influenceurs qu’il représente n’ont jamais reçu de propositions illégales. “Il y a juste une fois et heureusement on s’est ravisés au dernier moment. C’était des montres qui étaient envoyées dans des colis un peu bizarres, mais c’était du dropshipping, ce n’était pas illégal”, se souvient Louis Lorenzo.
Pour rappel, le dropshipping consiste à exposer et vendre des produits qu’on n’a pas en stocks. Une fois la commande passée, on les achète directement à un fournisseur type Alibaba ou Wish très bon marché et on les fait expédier directement au client, en se faisant une marge importante.
Darko de son côté, mentionne des sollicitations quotidiennes pour des “trucs de prono [pronostiques, ndlr]”. “On ne s’y est jamais vraiment intéressé parce que ce n’est pas la communauté des garçons”, explique Louis Lorenzo, avant de se demander : “après est-ce que c’est illégal ou pas ? “
En France, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) est chargée de la régulation des paris sportifs et des jeux d’argent et de hasard. Selon une porte-parole de cette autorité administrative interrogée par Konbini news, il faut bien distinguer deux choses : “On peut être influenceur·se et faire de la publicité pour des sites de paris sportifs agréés. En France, il y en a une quinzaine parmi lesquels Winamax ou encore Betclic.”
En revanche, “s’agissant des ‘tipseur·euse·s’ ou pronostiqueur·euse·s, ça peut être plus problématique, surtout si on est sur des sites qui laissent penser que moyennant finances, on peut gagner voire qu’on peut s’enrichir en prenant un abonnement. Ce sont des pratiques commerciales trompeuses ou déloyales”, rappelle cette représentante de l’ANJ.
Arnaques et publicités mensongères
Ce genre de posts qui flirtent avec la légalité sont répertoriés sur le compte @vosstarsenréalité, suivi par plus de 73 000 abonné·e·s. Derrière ce compte Instagram, il y a Audrey Chippaux, la quarantaine, débarquée sur les réseaux sociaux il y a un peu moins d’un an et demi.
“Je me suis posé la question : comment gagnent-ils de l’argent ? Il faut que je comprenne. Je suis assez vite tombée sur les placements de produits et des choses pas très légales“, raconte-t-elle à Konbini news.
Par exemple, en France, tous les sites Internet doivent présenter des mentions légales afin de pouvoir identifier le responsable et son hébergeur, comme le rappelle la CNIL.
Or selon Audrey Chippaux, c’est loin d’être le cas de tous les sites hébergeant les produits dont les influenceur·se·s font la promotion.
En plus de ces pratiques frauduleuses, elle dénonce les “publicités mensongères” et les “arnaques” qui peuvent parfois se révéler dangereuses.
“À l’époque des ceintures abdominales, j’ai reçu des photos de filles qui avaient la peau cramée”, se souvient-elle. Elle raconte aussi les jeux concours “frauduleux” voire “truqués” où les PlayStation 5 à gagner ne sont qu’un leurre. Son compte Instagram regorge d’histoires comme celles-ci.
Weed et faux papiers
Dans un tout autre registre, elle a épinglé il y a quelques jours le blogueur Aqababe qui faisait de la pub pour un dealer. “Il y a des jeunes sur les réseaux quand même”, s’indigne-t-elle. “Et là on ne parle pas de petits comptes à 70 000 abonné·e·s”.
Et puis au début du mois de décembre, il y a eu le “Melanight gate” – cette candidate de téléréalité qui a fait un placement de produit illégal et a, par le même occasion, choqué beaucoup d’internautes.
Dans une story publiée sur Snapchat, elle a vendu les mérites d’un homme qui proposait… des faux papiers : arrêts maladie, annulations d’amende, cartes handicap. La vidéo, supprimée quelques heures plus tard, est toujours visible sur Twitter.
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Contactés par Konbini news, ni Melanight ni Aqababe n’ont donné suite à nos demandes d’interview.
Quelques jours plus tard, la jeune femme a présenté ses excuses à ses abonné·e·s : “J’ai été profondément dévasté d’avoir pu partager un contenu illicite et je m’en excuse.”
Le temps d’une story
Si la dérive est perceptible par tous les acteur·rice·s du secteur que nous avons interrogée·s, comment en est-on arrivé là ? Ruben Cohen est cofondateur de l’agence Follow qui représente Carla Ginola, Mayadorable ou encore Anna Rvr.
“Certain·e·s sont prêt·e·s à tout pour que les influenceur·se·s parlent de leurs produits ou de leurs services”, confie-t-il à Konbini news.
Il assure que son agence refuse 80 % des demandes “parce qu’on estime que la société n’est pas viable, parce que c’est mensonger, parce que la personne ne recevra jamais son produit, parce que les ingrédients dedans sont faux.”
“Il n’y a aucune limite. On peut le voir dans la téléréalité, sans aucunement blâmer ce secteur, c’est vrai que c’est un peu moins contrôlé. Il est évident qu’il y a une notion budgétaire qui rentre en compte. Est-ce que c’est l’agent·e ou l’influenceur·se ? Je ne sais pas”, poursuit-il.
Qui est responsable en cas de promotion illégale ou de publicité mensongère ? À Follow, Ruben Cohen assure qu’en cas d’erreur, c’est l’agence qui prend l’entière responsabilité pour ses influenceur·se·s. Et de reconnaître que des erreurs peuvent arriver.
Le code de la consommation punit la publicité mensongère et sanctionne de 300 000 euros et 2 ans d’emprisonnement les “pratiques commerciales trompeuses”, rappelait Libération en 2019.
Dans le cas des influenceur·se·s sur les réseaux sociaux, les enquêtes de la DGCCRF ont déjà mené à la rédaction de plusieurs procès-verbaux d’infractions pour pratiques commerciales trompeuses, précise Checknews. Mais aucune de ces affaires n’a été dévoilée.
Les précédents d’influenceur·se·s épinglé·e·s pour publicité mensongère ou placement de produit illégal sont rares par rapport au nombre de contenus en circulation.
Un laxisme qui doit aussi être lié au fonctionnement des stories. Comme les contenus ne sont en ligne que 24h, les responsables sont plus difficiles à identifier.