“Un cas flagrant d’injustice”, un aréopage de personnalités, des manifestants déterminés et une avocate devenue emblématique : le 11 octobre 1972, le procès de Marie-Claire, une mineure accusée d’avoir eu recours à l’avortement après un viol, se solde par une relaxe historique.
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Marie-Claire Chevalier a 16 ans quand elle est violée par un garçon de son âge et tombe enceinte. “J’ai été forcée”, raconte-t-elle, ajoutant ne pas vouloir “de l’enfant d’un voyou”. Soutenue par sa mère, inspectrice à la RATP, la jeune fille se fait avorter clandestinement. “J’ai rempli mon devoir de mère, je devais protéger mon enfant”, martèle Michèle Chevalier qui élève seule ses trois filles.
Mais dénoncée par son violeur, Marie-Claire se retrouve, un matin d’octobre 1972, devant le tribunal pour enfants de Bobigny, avec, face à elle, une législation très répressive : l’avortement est alors considéré par le droit français comme un délit d’intention.
L’affaire, “révoltante”, est l’“exemple parfait pour entreprendre un procès ‘politique’ d’envergure et m’adresser par-dessus la tête des magistrats à l’opinion publique et au pays pour dénoncer la loi”, confie Gisèle Halimi, l’avocate de la jeune fille, dans un livre entretien avec la journaliste Annick Cojean (Une farouche liberté, 2020).
Coups de matraque et interpellations
Des voix montent également de la rue : deux jours avant le procès, plusieurs centaines de personnes manifestent dans le quartier de l’Opéra à Paris. “Coups de poing, coups de matraque : rien ne leur fut épargné”, relate Le Monde dans un article faisant état de huit cars de police, quatre cars de gendarmerie et cinquante-quatre interpellations.
Des hommes et des femmes sont également présents autour de Marie-Claire le jour de l’audience à huis clos. “Alors que je plaidais, j’entendais la foule à l’extérieur crier […] : ‘Nous avons toutes avorté !’, ‘Libérez Marie-Claire’, ou encore ‘L’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres’. Ça porte, vous savez”, raconte Me Halimi. “Comme la colère que je ressentais devant ces hommes qui allaient nous juger et qui ne savaient rien de la vie d’une femme.”
Peu avant 11 heures, les manifestants tentent de forcer le barrage de police qui leur interdit l’accès aux salles de justice. En vain. Mais des chansons stigmatisant le sort des femmes “faites pour souffrir” et des slogans réclamant “l’avortement libre et gratuit pour toutes” ou bien “la pilule aux mineurs” enveloppent le tribunal.
Ils sont vite remplacés par des cris de joie et des applaudissements : vers 12 h 30, Marie-Claire ressort. Elle est relaxée, une première. “J’ai eu peur”, avoue-t-elle sur les marches du Palais. “Nous avons fait le procès de l’interdiction de l’avortement !” se réjouit son avocate.
“Je l’aurais aidée”
Le 8 novembre suivant, Gisèle Halimi renfile sa robe : c’est au tour de Michèle Chevalier, deux de ses collègues et la personne qui s’est chargée de l’intervention clandestine de comparaître. La longue liste des témoins de la défense – le prix Nobel Jacques Monod, les comédiennes Delphine Seyrig et Françoise Fabian, Michel Rocard, Simone de Beauvoir… – donne le la des débats. “Nous ne ferons pas le procès des lois”, rappelle le président. “Moi, je le ferai”, rétorque Me Halimi.
L’avortement n’est pas l’infanticide, argue le professeur Monod, mettant en avant que le droit de donner ou de ne pas donner la vie appartient “de toute évidence à la personne qui est appelée à la donner”. Paul Milliez, président de l’unité d’enseignement et de recherche médicale Broussais – Hôtel-Dieu, fervent catholique, y assure : “Si Marie-Claire était venue me trouver, je l’aurais aidée.” Il sera convoqué par le ministre de la Santé et recevra un blâme du conseil de l’Ordre.
À deux reprises, des manifestants tentent de franchir les barrages de police.
Un pas “irréversible”
“S’est-il déjà trouvé dans cette enceinte de justice la femme d’un haut fonctionnaire, d’un médecin célèbre, d’un chef d’entreprise ? Vous jugez toujours les mêmes, les Madame Chevalier”, dénonce Gisèle Halimi dans son plaidoyer. “Cette loi archaïque ne peut survivre. Elle est contraire à la liberté de la femme.”
Le 22 novembre, le tribunal rend son jugement : Michèle Chevalier et la personne qui a pratiqué l’avortement ne sont condamnées qu’à du sursis, les deux intermédiaires sont relaxées.
Marie-Claire et sa mère, bras dessus, bras dessous, font face à une nuée de micros et d’appareils photo. “C’est formidable, les juges ont enfin pris leurs responsabilités. Ils ont pris connaissance des lois, qu’elles n’étaient plus applicables”, se réjouit Mme Chevalier. Du haut des marches, Gisèle Halimi conclut, visionnaire : “Le jugement est un pas irréversible vers un changement de la loi.”