“Je vais déconnecter, là. Ça ne va pas du tout.” Ces mots, vous les avez peut-être dits, entendus ou pensés au cours des dernières semaines/mois/années. La démocratisation d’Internet et la multiplication des réseaux d’information sur nos différents écrans ont permis de tout savoir du monde extérieur, n’importe où et n’importe quand.
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Depuis le premier confinement en mars 2020, de nombreuses personnes ont témoigné de leur volonté de se couper des informations ou de se déconnecter des réseaux sociaux pour protéger leur santé mentale. Face aux mauvaises nouvelles, nous pouvons nous sentir impuissants, tristes, stressés ou carrément anxieux face à l’avenir.
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Mais pourquoi consulter les informations provoque autant d’émotions négatives ? Pour Didier Courbet, professeur en sciences de la communication à l’université Aix-Marseille, l’usage exponentiel des médias s’est accompagné d’une hausse des émotions négatives. Les chaînes d’information en continu, centrées sur des images qui se répètent en boucle, ou les fils d’actualité comme Twitter font que l’on ne “maîtrise pas le flux négatif [qui a] un effet hypnotisant”. Selon lui, la presse écrite ou le fait de sélectionner plusieurs articles sur Internet peut donner une impression de contrôle, car on croit gérer les sources et les possibles effets négatifs de certaines nouvelles sur nos émotions.
Stress, anxiété, peur, agacement, dégoût ou tristesse
Pour Didier Courbet, tout le monde ne répond pas de la même manière à une overdose d’actualité. “Tout dépend de notre personnalité de base, de comment on reçoit l’information, de notre contexte de vie, de notre engagement politique… et de notre degré d’exposition à ces nouvelles”, explique-t-il. Les contenus médiatiques jouent sur le registre des émotions, positives ou négatives, dans le but de capter l’attention, ce qui explique que nos émotions soient constamment sollicitées quand nous nous exposons à l’actualité.
Ainsi, la palette d’émotions négatives ressenties est large, selon le spécialiste. Du stress peut être perçu quand notre environnement demande une force qu’on ne pense pas pouvoir gérer, ce qui provoque de l’épuisement. Souvent, ce stress s’accompagne d’un sentiment d’impuissance face à une situation. Chez des personnes prédisposées à de l’anxiété, cette dernière peut augmenter, poussée par une peur de l’avenir, sans que les causes soient réellement connues ou réelles.
Un autre sentiment négatif qui a été beaucoup étudié par les psychologues, c’est la corrélation entre couverture médiatique et peur. “La peur, c’est sentir une menace pour soi. L’excès d’actualité fait augmenter le risque perçu par rapport au risque réel. Par exemple, on parle de sentiment d’insécurité : c’est un sentiment ressenti”, détaille Didier Courbet. À ces émotions négatives peuvent s’ajouter de l’agacement lié à la répétition des mêmes informations ou discours, un dégoût du monde, de la tristesse qui fait appel à notre empathie.
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Didier Courbet le confirme : plus on augmente la quantité d’informations auxquelles nous sommes exposés, plus les effets négatifs augmentent. “Pour des personnes prédisposées à de l’anxiété, le stress et la peur peuvent accroître les troubles anxiodépressifs. Dans ce cas, on leur recommande d’arrêter les informations négatives”, préconise-t-il.
Comment prendre du recul ?
Pour la plupart des gens, cependant, il n’est pas nécessaire de tout couper : “On a besoin de discuter de l’actualité avec les autres. En se coupant, on se sent exclu du groupe”, précise Didier Courbet. Si prendre soin de sa santé mentale passe par la diminution du niveau de stress, notamment grâce à de l’exercice physique ou des techniques de relaxation, notre rapport à l’actualité peut également bénéficier d’un ralentissement. Cela passe, par exemple, en désactivant les notifications d’applications, en limitant son temps sur les chaînes d’information, mais également en prévoyant des espaces et moments sans information, à faire et penser à autre chose.
Pour Didier Courbet, cela passe aussi par une technique appelée le “recadrage cognitif”, qui consiste à prendre du recul sur les informations reçues afin d’y apporter une réponse objective, de sorte que cela ne touche pas nos émotions. “C’est un apprentissage, de réfléchir aux conséquences possibles de ce que l’on voit et entend”, détaille-t-il. En identifiant les processus à l’œuvre dans notre tête, et en essayant de comprendre comment et pourquoi les informations nous affectent, on peut mieux y réagir.
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Changer sa manière de consommer de l’information peut également être salvateur : connaître et comprendre la façon dont les informations sont traitées, diffusées et consommées peut permettre de prendre du recul. Se concentrer sur la presse écrite ou certains articles de la presse Web permet de contrôler notre exposition aux mauvaises nouvelles. “Un bon journaliste aide à mieux comprendre le monde et à prendre du recul. Avoir des explications et une mise en perspective peut participer au recadrage cognitif”, indique Didier Courbet. De même, sur Internet, s’épargner la lecture des commentaires et réactions qui accompagnent les contenus peut faire gagner du temps et de l’énergie mentale.
Gare, cependant, à la positivité toxique : il est parfaitement normal d’être stressé, angoissé, triste ou en colère au vu de l’état de notre monde. Il s’agit non pas de supprimer toutes nos émotions, mais de savoir ce qu’on en fait. “Avoir une vraie philosophie de vie qui permet de prendre du recul peut aider : par exemple, si le réchauffement climatique m’inquiète, je peux mettre en place des actions écologiques dans mon quotidien”, développe Didier Courbet. Ainsi, si l’angoisse provient de notre sentiment d’impuissance, le contrer par des actions concrètes pourrait permettre de mettre à distance les émotions négatives en retrouvant une capacité d’action.
Dans tous les cas, avoir besoin de couper la télévision et les réseaux sociaux un moment pour faire autre chose et se reposer, c’est déjà un bon début.