L’idée d’un complot essaime sur Facebook à la faveur de commentaires de la complosphère, de la fachosphère mais aussi de certains groupes de gilets jaunes.
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© Photo by Abdesslam MIRDASS / AFP
“Timing parfait”, “diversion”, “comme par hasard”… l’attaque qui a fait deux morts, une personne en état de mort cérébrale et 13 blessés mardi 11 décembre dans la soirée à Strasbourg a presque instantanément généré des relectures complotistes sur internet, et certains ont tôt fait de chercher la réponse à la fameuse question : “À qui profite le crime ?”
Sur des groupes Facebook où des gilets jaunes communiquent, plusieurs commentateurs se sont interrogés sur les circonstances exactes de l’incident. Certains internautes ont tiqué notamment sur un étrange hasard de calendrier. Survenue peu de temps après l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron et quelques jours avant le possible acte V de la mobilisation des gilets jaunes, l’attaque semble louche pour certains d’entre eux, à l’instar de Maxime Nicolle, l’un des visages des gilets jaunes, plus connu sous le nom de “Fly Rider”.
"Dites-vous bien que le mec qui veut faire un attentat vraiment, il attend pas qu'il y ait 3 personnes dans la rue le soir à 20h00"...#Strasbourg : l'indispensable analyse du #GiletJaune Maxime Nicolle ⤵️ pic.twitter.com/3qf8d9qlN5
— Conspiracy Watch (@conspiration) 11 décembre 2018
Très vite, le gouvernement a fait passer le plan Vigipirate en “urgence attentat” qui correspond au niveau le plus élevé prévu par le dispositif. Ce niveau 3 du plan Vigipirate serait en effet de nature à pouvoir interdire un rassemblement des gilets jaunes samedi prochain.
Plusieurs degrés de paranoïa
Selon Guillaume Daudin, journaliste en charge du fact-checking pour l’AFP Factuel, il y a plusieurs degrés à la paranoïa. “A côté de ceux qui remettent en question l’attentat, il y a ceux qui considèrent que le gouvernement va sauter sur ce prétexte pour étouffer le mouvement social et empêcher les gilets jaunes de manifester samedi”, explique-t-il à Konbini news.
Ce n’est pas la première fois qu’une attaque terroriste alimente des théories complotistes. Et le phénomène semble devenir systématique. Du 11 septembre 2001 jusqu’à l’attentat de Nice en 2016, en passant par Charlie Hebdo en 2015, chaque attaque s’accompagne désormais d’une théorie alternative à l’explication officielle.
Tristan Mendès France est enseignant chercheur au CELSA et maître de conférence associé à Paris Diderot, spécialisé dans les usages numériques. Il étudie depuis plusieurs années ces phénomènes. Interrogé par Konbini news, il avance cette explication :
“Ce qui est particulier cette fois-ci, c’est probablement le télescopage entre la complosphère classique traditionnelle qui apparaît après chaque attentant et la nébuleuse des gilets jaunes qui a été une véritable chambre d’écho de ces théories.”
Dès hier soir, il a constaté l’apparition de ce complotisme en temps réel sur certains groupes de gilets jaunes.
Bon j’arrête là mon immersion sur les groupes #giletsjaunes. Il y a biensur des voix discordantes mais bon. Affligeant. #strasbourg pic.twitter.com/8JgAcui5Z1
— Tristan Mendès France (@tristanmf) 11 décembre 2018
Ce qui a généré beaucoup de commentaires, c’est notamment un bandeau antidaté de BFMTV. Mais aussi un tweet de la préfecture dont l’heure ne correspondait pas.
Bon je craque mais j’attendais le fameux cercle ⭕️ qu’on trouve sur les photos partagées par les conspirationnistes. Ils sont là of course. Figures imposée trouvées sur des groupes #giletsjaunes. pic.twitter.com/g5PFsyi2o4
— Tristan Mendès France (@tristanmf) 11 décembre 2018
“L’heure bizarre de ce tweet s’explique facilement par un paramètre Twitter. Certains comptes sont réglés sur l’heure de Twitter, c’est-à-dire l’heure californienne”, explique Guillaume Daudin.
Comment expliquer le succès de ces théories sur certains groupes de gilets jaunes ?
“Ce grand mouvement social provoque énormément de messages sur internet, beaucoup d’attentes. Il y a beaucoup de gens qui attendent l’acte V des gilets jaunes et qui du coup sont très mobilisés là-dessus”, avance le journaliste de l’AFP.
Un constat partagé par Tristan Mendès France : “Les gilets jaunes s’informent sur Facebook et les groupes qu’ils suivent, il est donc normal que ces théories incubent dans ces endroits là, qui fonctionnent par bulles et où l’effet d’entrainement est facile.”
Facebook a en effet une part de responsabilité, puisque ses algorithmes figent les internautes par strates idéologiques. D’autant que, comme l’explique le sociologue Gérald Bronner dans La démocratie des crédules :
“La recherche d’information se fait par un biais : le biais de confirmation. Nous avons déjà une croyance (qui peut être conditionnelle) et tendrons à chercher des informations pour l’affermir. C’est souvent ce que l’on observe sur les réseaux sociaux par exemple.”
Toutefois, il est important de souligner que les membres de ces groupes de gilets jaunes sont aussi nombreux à appeler à la prudence et à modérer ce genre de commentaires controversés. Mais l’essor des théories du complot est un phénomène plus global que les gilets jaunes. Il traduit une crise de confiance profonde des citoyens envers leurs gouvernants comme envers les médias.