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Le 15 avril dernier, Disclose, un média d’investigation à but non lucratif dont Konbini est partenaire, publiait une enquête intitulée “Made in France” et révélait au grand public un rapport classé “confidentiel défense”. Ce dernier attestait l’implication d’armes françaises dans la guerre au Yémen.
Ce document ultrasecret, daté de septembre 2018, montrait notamment comment des avions de combat Mirage 2000-9, ou encore la technologie à visée laser Damoclès, sont vendus à l’Arabie saoudite et à ses alliés et sont utilisés dans les bombardements et combats au Yémen.
Une révélation rendue possible grâce à une fuite de documents, qui a contredit le discours officiel du gouvernement français.
[COMMUNIQUÉ] Lors de leur audition mardi 14 mai, qui fait suite à la publication de l'enquête "Made in France", les journalistes de @Disclose_ngo se sont vus notifier par les enquêteurs de la DGSI qu'ils n'étaient pas entendus comme journalistes. Proprement scandaleux ⤵️ pic.twitter.com/Y634WPOtql
— Disclose (@Disclose_ngo) 14 mai 2019
Des journalistes entendus “à titre privé”
Un mois plus tard, mardi 14 mai, les fondateurs et journalistes d’investigation de Disclose, Geoffrey Livolsi et Mathias Destal, “ont été auditionnés à titre personnel et sous le régime de l’audition libre” par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), a-t-on appris.
Lors des révélations de Disclose, Geoffrey Livolsi nous avait alors expliqué avoir reçu ce document d’une source “du plus haut sommet de l’État”, précisant évidemment vouloir “maintenir l’anonymat” de celle-ci.
Mais la protection des sources pourrait aujourd’hui être remise en cause avec cette audition pour “compromission du secret de la défense nationale”, une infraction qui, selon le Code pénal, est passible de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Et il se trouve que Geoffrey Livolsi et Mathias Destal n’ont pas été entendus en tant que journalistes, mais en tant que personnes privées, ce qui est, selon Disclose, “proprement scandaleux” :
“Les enquêteurs de la DGSI ont notifié à Mathias Destal et Geoffrey Livolsi qu’ils n’étaient pas entendus en tant que journalistes.
[Au cours de leurs interrogatoires] ils ont également appris que l’enquête préliminaire ouverte en décembre était conduite sous l’autorité de la ‘section terrorisme et atteinte à la sûreté nationale’ du parquet de Paris. Un cadre procédural que nous dénonçons fermement.”
Qu’implique ce cadre ? “Cette procédure [les] prive des garanties apportées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse”, rétorque Disclose, qui ajoute : “Elle confirme la volonté d’exercer une pression personnelle en mettant tout en œuvre pour détacher l’infraction pénale de compromission de l’exercice de notre devoir journalistique.”
“Ces manœuvres ne nous empêcheront pas de poursuivre notre travail légitime”
Les deux hommes ont expliqué avoir fait le choix d’exercer le droit au silence, après avoir déclaré aux enquêteurs “qu’ils avaient agi dans l’exercice de leur mission d’information au public”, précise le communiqué qu’ils ont publié hier dans la soirée. Et d’assurer : “Ces manœuvres ne nous empêcheront pas de poursuivre notre travail légitime.”
Joint par téléphone, Geoffrey Livolsi nous explique avoir été notifié de son audition une semaine après la publication de l’enquête. Il nous raconte les préambules :
“D’abord, on a fait des demandes afin de pouvoir être auditionnés en deux temps séparés et ainsi éviter d’avoir deux avocats car, avec Mathias Destal, on était auditionnés à la même heure.
Notre avocate avait demandé que nous soyons auditionnés avec une heure de décalage étant donné qu’on était en audition libre – donc il n’y avait pas d’impératif pour qu’on ne communique pas entre les deux auditions. Mais la DGSI a refusé au motif de la nécessité impérieuse de l’enquête.”
Concernant le déroulé de l’audition, cette dernière a duré environ une heure : “Ça a été assez vite, puisqu’on a exercé notre droit au silence. On nous a simplement posé sept pages de questions, auxquelles nous n’avons pas répondu.”
Si les deux hommes ne sont pour l’instant pas poursuivis et ont simplement été auditionnés, ils ne savent pas encore quelles seront les suites, comme nous l’explique M. Livolsi :
“Si la procédure s’était arrêtée là, on aurait reçu un rappel à la loi parce qu’ils ont, dans le cadre de l’audition, établi l’infraction de ‘compromission du secret de défense nationale’ à la date du 15 avril 2019.
Mais ils ont refusé de répondre à nos avocats concernant les suites juridiques, c’est-à-dire : où en est l’enquête, à quel stade sont-ils, quelles vont être les suites et quand on pourra avoir accès au dossier.”
Et au beau milieu de tout ça, Monsanto…
Enfin, un point particulier pose question dans ces auditions et en particulier celle de Geoffrey Livolsi : ce dernier assure avoir été interrogé au sujet d’un retweet concernant les révélations au sujet des méthodes de fichage illégal de personnalités en fonction de leur positionnement sur le glyphosate par l’entreprise Monsanto.
“C’était un peu la question surprise à la fin de l’audition : ça concernait le retweet d’un compte privé la semaine dernière”, nous explique Geoffrey Livolsi, poursuivant : “C’était un retweet de Luc Bronner, directeur de la publication du Monde d’un papier sur les fichiers Monsanto.”
Et le journaliste d’investigation de poursuivre : “On m’a demandé pourquoi j’avais fait ça et quel était mon positionnement sur cette affaire. Ce qui n’avait aucun rapport”, rappelle Geoffrey Livolsi. Il précise : “Comme on avait fait le choix de garder le silence, on n’a pas répondu.”
Voilà donc le retweet sur lequel j’ai été interrogé hier à la #DGSI, quand à mon positionnement sur le sujet des fichiers #monsanto @lemondefr @lucbronner pic.twitter.com/uaHFYgSE85
— Geoffrey Livolsi (@GeoffreyLivolsi) 15 mai 2019
Après les auditions, un consortium de journalistes issus de 37 médias français s’est mobilisé pour apporter son soutien à nos confrères Mathias Destal et Geoffrey Livolsi. Sur les réseaux sociaux, les messages de soutien émanant de la profession, auxquels Konbini news s’associe, sont nombreux :
Ce matin, je reviens sur la convocation-bâillon des journalistes de @Disclose_ngo par la DGSI. Avec un scoop de la DGSI : les auteurs du scoop sur les ventes d'armes...ne sont pas journalistes ! https://t.co/k2VJRqcUak
— Daniel Schneidermann (@d_schneidermann) 15 mai 2019
Précision concernant l'audition des journalistes de Disclose : s'ils ont été entendus en tant que justiciables ordinaires, c'est que le délit de compromission n'est PAS une infraction de presse. D'où la nécessité de mettre en place une procédure qui protège mieux les médias ?
— Olivier Tesquet (@oliviertesquet) 15 mai 2019
Soutien absolu aux confrères de @Disclose_ngo dont @Mediapart est très fier d’avoir publié les révélations sur les ventes d’armes françaises et la guerre au Yémen. Un sujet d’intérêt public pour tout le monde, sauf pour le gouvernement, le parquet et la DGSI. Très inquiétant. https://t.co/Y8h1pCpqBt
— Fabrice Arfi (@fabricearfi) 15 mai 2019
Vous n’en avez pas marre, @Disclose_ngo, de réclamer des éléments tangibles ? https://t.co/jAHYfCunIt
— Fabrice Arfi (@fabricearfi) 10 mai 2019
Avec 16 autres ONG, nous dénonçons les menaces de poursuites contre les journalistes de @Disclose_ngo et @InvestigationRF enquêtant sur les armes françaises au Yémen.
— Amnesty France (@amnestyfrance) 14 mai 2019
Nous exigeons : la fin des intimidations contre la presse et le respect du secret des sources ! #yemencantwait
Comme pour nous en manif, les flics ne reconnaissent pas aux journalistes de @Disclose_ngo… leur qualités de journalistes.
— Gaspard Glanz (@GaspardGlanz) 14 mai 2019
C’est pratique ça permet de ne pas respecter la loi de protection des sources… et de mettre en Garde à Vue des JRI/Photographes. On a un garde des sceaux? https://t.co/21fs8fz2gm
Si c'est vrai, c'est proprement incroyable. On peut donc être interrogé par la DGSI sur son "positionnement" par rapport à une information qui a conduit à l'ouverture d'une enquête par le parquet. Une réaction, @CCastaner ? cc @stephanehorel @aguirredecarcer @tristanwaleckx ⤵️ https://t.co/V2QIxH48jF
— Stéphane Foucart (@sfoucart) 15 mai 2019